Ces derniers mois, la commune de Gesves, en province de Namur, était confrontée à la présence d’un troupeau de mouflons, des moutons sauvages reconnaissables à leurs impressionnantes cornes en spirales. À l’origine de celui-ci : un mâle et une femelle probablement échappés d’une chasse privée, qui se sont installés et reproduits dans les prairies de cette commune rurale en 2019, jusqu’à former un véritable troupeau de 17 individus en 2024.

Si ces ovins ont gagné l’affection des habitants, les agriculteurs locaux déploraient quant à eux les dommages causés à leurs cultures. Leurs plaintes ont abouti en août 2024 à une autorisation de destruction émanant du Département Nature et Forêt (DNF). Plusieurs individus ont également été abattus pendant la période de chasse. 

Mouflons Gesves

Une opération de sauvetage complexe

Touchés par le sort réservé à ces animaux, une poignée de riverains a mené depuis le mois de janvier une véritable opération de sauvetage des sept mouflons encore présents sur les prairies. La manœuvre s’annonçait pour le moins complexe : il fallait, d’une part, réunir les autorisations officielles nécessaires à la capture et au transport des mouflons dans un lieu adapté et, d’autre part, mettre en place une infrastructure pour les capturer.

Un enclos muni d’une caméra de surveillance et d’un système de fermeture automatisé a alors été installé par une entreprise spécialisée. Après des mois d’un travail d’approche patient et millimétré, les mouflons ont pu être capturés en douceur le 24 mai dernier et transférés au Domaine des Grottes de Han, prêt à les accueillir. 

Mouflons Gesves

Origine des mouflons : l’ADN à la rescousse

En parallèle de cette initiative, les riverains mobilisés – parmi lesquels Nathalie Kirschvink, vétérinaire et professeure à la Faculté de médecine de l’UNamur – ont sollicité l’expertise des laboratoires de l’Unité de Recherche en Biologie Environnementale et évolutive (URBE) de l’UNamur pour éclaircir une question déterminante : l’origine des mouflons. En effet, dans nos régions, les mouflons sont considérés comme du gibier et donc chassables, tandis que les mouflons issus de certaines lignées bénéficient d’une protection.

Nathalie Kirschvink a donc confié des échantillons frais composés de poils et d’excréments à Alice Dennis, professeure et chercheuse à l’URBE. Le séquençage de l’ADN contenu dans ces échantillons a permis à Alice Dennis et au technicien Jérôme Lambert d’identifier des liens de parenté entre les mouflons de Gesves et ceux issus d’une lignée corse, dont le génome avait déjà été décrit dans la littérature scientifique. 

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Alice Dennis

Cette identification repose sur la phylogénie, une méthode utilisée dans les sciences du vivant permettant de reconstituer au travers d’un arbre phylogénétique les relations évolutives entre des espèces et ainsi retracer leurs origines et leurs liens de parenté.

Alice Dennis Professeure et chercheuse à l'Unité de Recherche en Biologie Environnementale et évolutive (URBE)

De la cellule aux écosystèmes : plonger dans l’infiniment petit pour protéger le vivant

Cette expertise est au cœur des recherches de l’URBE, qui utilise les outils de l’écologie moléculaire pour étudier aussi bien la physiologie d’organismes (comme les escargots pour Alice Dennis) que leurs interactions avec leur environnement. La méthodologie utilisée peut s’appliquer à des cas très concrets et locaux, comme celui des mouflons de Gesves mais, plus largement, servir à une meilleure compréhension de la diversité génétique entre espèces dans une optique de sauvegarde de la biodiversité.

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Portrait de Frédéric Silvestre

L’URBE s’oriente de plus en plus vers l’écologie moléculaire, une discipline qui explore, via la génétique, la capacité d’adaptation des espèces aux changements environnementaux. En effet, plus une population est diversifiée au niveau génétique, au mieux elle a la capacité à s’adapter aux perturbations de son environnement. Il s’agit de questionnements essentiels en termes de conservation des espèces, à l’heure où la biodiversité connaît une crise sans précédent. 

Frédéric Silvestre Directeur du Département de biologie de l’UNamur et membre de l’Unité de Recherche en Biologie Environnementale et évolutive (URBE)

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