Apparu pour la première fois en 1976, le concept de mème a été utilisé par le biologiste Richard Dawkins, qui l’utilisait pour désigner une idée ou une habitude se propageant d’une personne à l’autre. Avec l’essor du numérique, le terme a pris un nouveau sens, désignant désormais ces images partagées et détournées en ligne, souvent accompagnées de texte, qui commentent l’actualité, expriment une émotion ou racontent une situation en quelques mots. Mais pour Lieven Vandelanotte, professeur à la Faculté de philosophie et lettres, les mèmes représentent un nouveau type de langage. « Les mèmes ne sont pas de simples illustrations. Ils combinent texte et image d’une manière qui transforme la façon dont le sens est construit », explique-t-il.

Un regard linguistique sur un langage numérique

Spécialiste du discours et de la linguistique anglaise, Lieven Vandelanotte étudie depuis plusieurs années le discours rapporté ainsi que la multimodalité, c’est-à-dire des productions qui combinent plusieurs modes d’expression, comme l’image et le texte. 

Grâce à son mandat de Professeur de recherche Francqui, obtenu en 2023, il a pu consacrer davantage de temps à cette thématique. « Ce mandat me donne l’occasion d’approfondir mes recherches sur la multimodalité et de finaliser ce livre, un projet que je mûrissais depuis longtemps. »

L’objectif de son travail ? Montrer que dans les mèmes, l’image joue un rôle linguistique à part entière. « Elle peut remplacer un mot, compléter une phrase ou exprimer un point de vue. C’est une véritable composante grammaticale. »

Quand les images construisent le sens

Parmi les mèmes qu’il analyse, Lieven Vandelanotte cite le célèbre Distracted Boyfriend (le petit ami distrait) : un homme détourne le regard de sa compagne pour admirer une autre femme.
« Ce mème illustre l’idée de faire un choix, de changer de préférence, de se détourner d’une option vers une autre. Une idée assez similaire est exprimée par le même qui s’appelle « Sortie 12 » (Exit 12). Un exemple qui mélange les deux, montre que les utilisateurs savent bien que ces images ne servent pas vraiment à parler d’un scénario entre amoureux ou d’une situation sur l’autoroute, mais ils perçoivent que différentes formes, avec des images différentes, peuvent avoir plus ou moins le même sens. »

Mème distracted boyfriend exit 12

Un autre exemple est celui du mème Good Girl Gina, où une jeune femme souriante est associée à des phrases décrivant un comportement « positif ». Dans la version Gets mad at you / Tells you why, l’humour repose sur le contraste avec un stéréotype sexiste : la protagoniste se fâche, mais, contrairement au stéréotype, elle explique pourquoi. « Dans ce cas, l’image remplit le rôle de sujet de la phrase. Elle n’illustre pas le texte, elle en fait partie intégrante et participe pleinement à la construction du sens », souligne Lieven Vandelanotte.

Mème Get mad at you

Il cite aussi la catégorie des when-memes, où une phrase débutant par When… (Quand…) se conclut par une image. Par exemple : « When you’re at a party full of people you don’t know so you stay with your friend the whole time » (Quand tu es à une fête pleine de gens que tu ne connais pas, donc tu restes avec ton ami tout le temps), accompagné de la photo d’un petit koala accroché à une jambe. « Ici, l’image vient terminer la phrase. Elle n’illustre pas directement la situation, elle en fournit la conclusion, comme un segment syntaxique à part entière. »

mème when

Ces analyses sont au cœur de l’ouvrage The Language of Memes, coécrit par Barbara Dancygier et Lieven Vandelanotte et publié chez Cambridge University Press.

Présenté comme le premier livre d’analyse linguistique approfondie des mèmes Internet, il propose une nouvelle approche de l’étude des genres multimodaux et explore la manière dont les images et les textes s’articulent pour créer du sens.

Cover de l’ouvrage The Language of Memes

Quand ça se déroule dans le train…

Au cours des dernières années, Lieven Vandelanotte a participé à de nombreux colloques pour présenter les résultats de ses recherches sur les mèmes, mais aucun n'était aussi original que le récent colloque « Railway Aesthetics ». Celui-ci s'est déroulé dans des trains en mouvement. Allant de Vienne à Bucarest, puis de Bucarest à Istanbul, les participants vivant ensemble dans les wagons pendant toute la durée de la conférence. Avec Justin Bai de l'Université du Colorado, il y a présenté un exposé sur l'utilisation des trains dans les mèmes Internet et les discours sur les réseaux sociaux, comme dans l'exemple ci-joint (un « when-meme » mettant en scène le regretté chef Anthony Bourdain, l’air très cool, reflétant ironiquement l'attitude de quelqu'un qui parvient à ne pas se faire moquer par un serveur français). 

mème train