Romain Waroquier est docteur en Histoire et chercheur postdoctorant au sein du centre de recherche Pratiques médiévales de l’écrit (PraME) de l’UNamur. Depuis 2024, et grâce au mécénat de la fondation d’utilité publique Institut Moretus Plantin, il a inventorié, identifié et analysé chacun des 214 documents qui composent le fonds d’archives mis en dépôt à la BUMP par le comte René de Brouchoven de Bergeyck de Namur d’Elzée, dont les ancêtres furent comtes de Namur (avant 1421) et seigneurs de Dhuy (commune actuelle d’Éghezée).

Image
Photo Romain Waroquier

L’ensemble est exceptionnel pour deux raisons : d’abord, sa profondeur chronologique, qui pénètre jusqu’au cœur du Moyen Âge. Le plus ancien document date de 1263 ; or, il est très rare que des fonds d’archives nobiliaires aient survécu à travers les siècles et notamment à la Révolution française, qui a occasionné de nombreuses destructions de documents rappelant le passé féodal de nos régions. Le fonds est remarquable, ensuite, en raison de sa cohérence : il illustre, de manière inédite, l’histoire de la seigneurie de Dhuy, de son château (représenté ci-dessus vers 1828) et de ses dépendances. Cette seigneurie s’est transmise, sans discontinuité, au sein de la même famille depuis le début du 15e siècle

Romain Waroquier Docteur en histoire et chercheur postdoctorant au sein du centre de recherche Pratiques médiévales de l’écrit (PraME)

Un livre foncier unique en province de Namur

En mettant en dépôt à la BUMP une partie de ses archives, le comte de Brouchoven de Bergeyck a posé un geste important vis-à-vis du monde scientifique, qui pourra désormais les exploiter et mettre en lumière certains aspects de l’histoire seigneuriale du Namurois au Moyen Âge.

« La charte de 1263 (voir image ci-contre), qui relate la donation de la seigneurie hautaine (le droit du seigneur sur les personnes et les biens relevant de sa juridiction, NDLR) par le comte de Namur à Libert de Dhuy, n’avait été transmise qu’au travers de copies. Nous avons désormais accès à l’original au sein du fonds de Bergeyck », s’enthousiasme Romain Waroquier.

Fonds de Bergeyck - Charte de 1263

« À côté d’une vingtaine de chartes documentant la transmission intrafamiliale de la seigneurie (1263-1490), la pièce maîtresse du fonds réside dans un livre ou polyptique foncier, un document de gestion dans lequel sont consignées les descriptions des terres constituant la seigneurie de Dhuy. Ce manuscrit a connu deux phases de rédaction, la principale en 1417 et la deuxième sans doute vers 1489 », poursuit le médiéviste. « On rencontre habituellement ce type de document dans le cas des grands domaines ecclésiastiques ». Dans le cadre d’une seigneurie laïque, ce polyptique ne connaît qu’un seul équivalent comparable dans l’espace mosan, le censier de la seigneurie de Jauche, daté de 1444 et étudié par l’historien Georges Despy. Il s’agit donc d’un document unique en province de Namur, mais également rarissime à une échelle plus large.  

Une seigneurie au statut particulier

« La raison d’être du document interpelle : ce n’est pas un censier, car la description de la seigneurie ne se fait pas sur base du cens (redevance payée au seigneur par les tenanciers d’une terre, NDLR). Il ne s’agit donc pas d’une raison fiscale. Et l’historien de livrer son hypothèse quant à l’origine du manuscrit : « les possessions constituant la seigneurie de Dhuy sont réunies à la fin du 14e siècle par Jean de Namur, le fils cadet du comte de Namur Guillaume Ier. La seigneurie de Dhuy est sa possession personnelle, sur laquelle il a racheté tous les droits et biens entre 1390 et 1392, alors qu’il était seigneur de Wienendaele et de Renaix, et non destiné à régner. Lorsqu’il accède à la tête du comté en 1418, après le décès de son frère Guillaume II, sans héritier, il fait probablement inventorier les biens de sa seigneurie personnelle afin d’éviter qu’elle se confonde avec celle du domaine comtal ». On constate en effet que, lors de la cession du comté de Namur au duc de Bourgogne Philippe le Bon, en 1421, la seigneurie de Dhuy est exclue de la vente. « Cela est clairement stipulé dans l’acte de vente du comté. La seigneurie est cédée par Jean de Namur en apanage (portion de domaine accordée par le seigneur, en compensation, à un enfant exclu de la succession du titre, NDLR), à son fils naturel Philippe. Elle est écartée de la vente car elle était la possession de Jean avant qu’il ne devienne comte », conclut Romain Waroquier.   

Un inventaire et des publications pour faire connaître le Fonds de Bergeyck

L’inventaire scientifique réalisé par le chercheur sera publié prochainement aux Presses Universitaires de Namur. Il donnera ainsi un aperçu détaillé de la partie médiévale du fonds, mais également de ses portions modernes et contemporaines, qui sont principalement constituées de testaments et de conventions de mariage (16e-17e siècles), de documents personnels ainsi que d’un beau dossier épistolaire datant de la période napoléonienne : « Il s’agit d’une vingtaine de lettres échangées entre le comte et son fils, engagé dans l’armée de l’Empire et qui va décéder durant la guerre d’indépendance d’Espagne (un conflit qui a opposé l'Espagne et ses alliés à la France de Napoléon Ier entre 1808 et 1814, NDLR) ». Plusieurs articles scientifiques suivront, dont l’édition critique et la remise en contexte du fameux livre foncier évoqué plus haut. Les chartes médiévales seront également numérisées tout prochainement et rendues accessibles au public sur le portail Neptun de la bibliothèque universitaire namuroise. Enfin, une conférence lèvera le voile sur les richesses du Fonds de Bergeyck, le 2 octobre prochain à l’UNamur. Rendez-vous est pris ! 

Le centre de recherche Pratiques médiévales de l’écrit (PraME)

Fondé en 2009, le centre PraME réunit une vingtaine de chercheuses et de chercheurs qui consacrent leurs travaux aux écrits et aux multiples facettes de l’activité d’écriture dans l’Occident médiéval. Il bénéficie d’une reconnaissance en Belgique et à l’international et noue de nombreuses collaborations interdisciplinaires au sein du monde académique et en dehors (dépôts d’archives, bibliothèques, musées, sociétés savantes…), dans le cadre de projets de recherche et de médiation scientifique. Le centre PraME est un pôle de l’institut de recherche PaTHs de l’UNamur.  

Ce projet de recherche bénéficie du soutien de la fondation d’utilité publique Institut Moretus Plantin.  

Institut Moretus Plantin

Cet article a été publié dans la newsletter du Fond Namur Université.