Quel est votre rôle au sein de l’Observatoire universitaire en médecine rurale de l’UNamur (OUMRu) ?

Je travaille sur la question de l’accessibilité aux soins. Avec le Docteur Dominique Henrion, nous avons collaboré à une première récolte de données quantitatives via le dispositif « The Social Study » auprès de 5 000 citoyens belges. Cette première étape vise à objectiver les difficultés rencontrées sur le terrain et à en cerner les variations géographiques. Les premiers résultats montrent que nous sommes dans une situation de tension. Dans un second volet qualitatif, nous interrogeons l’évolution du métier et de la relation de soin dans ce contexte. La vision du métier et les pratiques professionnelles ont profondément changé. Je m’intéresse en particulier à des caractéristiques telles que la précarité, l’âge, le genre ou l’état de santé. Elles permettent de montrer des divergences au sein de la population de patients. Si l’on est isolé socialement, en situation de précarité et que l’on souffre de pathologies graves ou chroniques, cette pénurie a un impact fort. Prenons l’exemple des soins palliatifs : actuellement, la situation est grave dans certaines zones, les médecins ne sont plus systématiquement en mesure répondre aux besoins. 

Qu’est-ce qui explique cette pénurie ?

Le métier de médecin généraliste a profondément évolué ces dernières années. On observe que la nouvelle génération de médecins s’installe plus volontiers dans les villes, offrant d’autres conditions de travail. Les jeunes médecins qui arrivent sur le marché de l’emploi n’ont pas la même vision du métier que les médecins en fin de carrière. Les questions d’âge et de genre impactent aussi fortement l’évolution du métier. Ces jeunes médecins ne vont plus nécessairement se consacrer corps et âme à leur travail. Ils et elles envisagent un autre équilibre entre vie privée et vie professionnelle. Un autre aspect tend à disparaitre : la disponibilité du médecin de famille à toute heure ainsi que les déplacements à domicile. Aujourd’hui, le système de mutualisation des gardes est la norme et les médecins ne sont plus rappelables constamment. Il faut donc partir du principe que le métier a changé. 

Justement, ce projet rassemble des expertises en médecine, géographie et sociologie. Quelle est pour vous la plus-value de cette collaboration pluridisciplinaire ?

Cette collaboration est extrêmement riche, grâce à la diversité de nos expertises et bagages respectifs. Le regard sociologique permet de saisir les vécus, le sens et les pratiques de la médecine générale en milieu rural. Il s’agit de comprendre la place du médecin de famille dans la santé des patients et la vision du métier en évolution. En géographie, Catherine Linard mène une recherche quantitative avec cet intérêt particulier de la discipline envers le territoire. Ce travail vise à créer un « indice de ruralité » pour identifier où sont implantés les médecins généralistes. L’expertise de la médecine est de travailler, à partir de là, sur l’attractivité des lieux d’implantation notamment. De manière générale, la dimension appliquée du projet me parle beaucoup et c’est l’enjeu de l’observatoire que d’analyser en vue d’agir sur la situation. Il y a une urgence à comprendre ce phénomène, ressenti par l’ensemble de la population et vécu de manière particulièrement aiguë par les personnes en situation de vulnérabilité. 

Des solutions sont-elles déjà à l’étude ?

L’interdisciplinarité est très riche sur ce point. En particulier, au travers des liens entre l’Observatoire et le master en médecine générale, Dominique Henrion cherche à cerner les priorités des futurs médecins afin de voir comment agir sur les lieux d’implantations pour corriger les déséquilibres actuels. L’encadrement interdisciplinaire d’une doctorante, financée avec la Mutualité chrétienne dans le cadre d’un FSR, nous permettra également d’avancer dans cette optique (voir encadré). 

Vous menez également des recherches en sociologie du travail et en gérontologie, qui est l’étude du vieillissement. Quel est votre angle de travail ?

Je m’inscris dans le courant de la gérontologie critique, qui questionne les structures sociales qui pèsent sur les personnes âgées. Par exemple, le recul de l’âge de la retraite reflète une tendance à devoir et à vouloir rester actif, pour maintenir un certain niveau de vie, mais aussi pour continuer à prendre part à la société. Je travaille avec Nathalie Burnay, professeure ordinaire à la Faculté EMCOP, sur un projet FNRS co-financé avec le FNS Suisse, qui compare la façon dont le travail est vécu et perçu par des personnes vieillissantes, après l’âge de la retraite. Cela soulève des questions liées à la fin de vie et à la manière dont les individus repensent leur identité à l’aune de normes sociales assez âgistes et valorisant l’activité. Cette collaboration de quatre ans s’inscrit dans les projets que je mène au sein de l’Institut Transitions, qui explorent la recomposition des rôles sociaux tout au long de la vie, notamment sous le prisme des inégalités et de la relation d’aide, des enjeux que l’on retrouve dans le travail mené par l’OUMRu.

CV express

Amélie Pierre est détentrice d’un doctorat en sciences politiques et sociales. Elle est chargée de cours à l’UNamur et post-doctorante à l’Institut Transitions, dans le Pôle Transitions et Âges de la Vie. Elle est responsable du Centre de recherche CERIAS du Master en Ingénierie et action sociale de l’Henallux et de la HELHa. Elle s’intéresse aux normativités et aux changements identitaires des individus au cours de leur existence, en particulier chez les publics minorisés en lien avec le handicap, l’âge ou la précarité. 

Une collaboration inédite

L’UNamur et la Mutualité chrétienne ont noué une collaboration inédite dans le cadre de l’OUMRu. Ce partenariat porte sur le cofinancement d’un projet de recherche ambitieux et multidisciplinaire mené par l’UNamur durant 4 ans, sous la direction d’Amélie Pierre et de Catherine Linard, en vue de décrypter les mécanismes contribuant à la disparité de l’offre en médecine générale en Wallonie et objectiver les pénuries à l’échelle locale. 

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Cet article est tiré de la rubrique "Experte" du magazine Omalius #38 (Septembre 2025).

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