« Dès décembre 2019, j'ai suivi de très près ce qui n'était encore qu'une alerte sur des cas de pneumonie atypique, en Chine, et se propageant rapidement », se souvient Benoît Muylkens, directeur du Département de médecine vétérinaire et membre de l’Institut NARILIS (NAmur Research Institute for LIfe Sciences). « Et le 17 janvier, j'ai compris que le contrôle de l'épidémie avait été perdu et qu'il s'agissait d'une maladie potentiellement grave. Heureusement, dès le mois de février, le laboratoire allemand de référence en la matière a partagé la carte génétique du virus. Damien Coupeau, logisticien de recherche en virologie et moi-même avons immédiatement commencé à chercher des séquences génétiques d'intérêt et à commander du matériel. »

Cette prévoyance a eu un impact important sur les capacités de testing de la Wallonie. En effet, au mois de février 2020, à la fin des vacances scolaires, la Belgique a dû faire face à un afflux important de voyageurs revenant d'Italie, où le virus faisait des ravages. « Malheureusement, les capacités de test du pays étaient largement insuffisantes, de l'ordre de 500 par jour », retrace le virologue.

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Ce dernier a alors eu une idée : pourquoi ne pas mobiliser les nombreux laboratoires de biologie moléculaire que comptent toutes les universités du pays, afin de soutenir les laboratoires d'analyse clinique débordés ? « Pour effectuer un test PCR à partir d'un échantillon nasal, il était nécessaire d'extraire préalablement l'ARN du virus », explique Benoît Muylkens. « Or, en laboratoire d'analyse clinique, cette étape était réalisée par des machines coûteuses, et nécessitait des produits qui étaient alors en pénurie. » Il s'en est suivi « une semaine absolument folle » où le chercheur, avec l'aide de toutes les bonnes volontés et l'appui des autorités compétentes, a mis en place une plateforme logistique, depuis la réception des prélèvements jusqu'à l'encodage, en passant par l'extraction de l'ARN viral « à la main », c'est-à-dire via des techniques éprouvées en laboratoire de recherche et qui ne nécessitent que « quelques réactifs et une centrifugeuse », ainsi qu'un certain savoir-faire. En vitesse de croisière, ce projet nommé SANA, endossé par les cinq Facultés, a permis de délivrer jusqu'à 500 tests par semaine, avec un total de 10 000. 

Si aujourd'hui, le projet SANA n'a plus de raison d'être, son influence se fait encore sentir. « On en a peu parlé, mais deux nouveaux variants du virus de la langue bleue, qui affecte les moutons et les bovins, ont émergé cet été, avec de très graves conséquences », indique le virologue. « Du fait de notre travail sur le SARS-CoV-2, nous sommes beaucoup plus organisés et nous avons concouru à l'identification du virus chez les animaux. »

CRO-VAX et covimoa, deux projets du Département de pharmacie  

À l'été 2020, alors que les vaccins contre le Covid-19 commencent à émerger des laboratoires et que la tension sur les tests PCR s'est allégée, le professeur en pharmacologie Jonathan Douxfils, membre de l’Institut NARILIS, a, quant à lui, déjà lancé depuis plusieurs mois le projet CRO-VAX, qui vise à déterminer si une personne a été infectée par le SARS-CoV-2, via, non pas un prélèvement nasal, mais sanguin. « L'idée était de voir, en mesurant les anticorps, si les personnes avaient développé une immunité contre le virus, et quelle était la qualité de cette immunité », résume-t-il.

Puis, avec l'arrivée des vaccins début 2021 et durant deux ans et demi, le projet CRO-VAX s'est élargi pour tester la réponse sérologique des personnes vaccinées. « Nos résultats ont montré, avant même les premiers vaccins, qu'il faudrait que ces derniers soient faits de façon récurrente », explique-t-il. « En effet, le SARS-CoV-2 est un virus à multiplication rapide au niveau respiratoire. Dès lors, il est important que notre première ligne de défense, que sont les anticorps, soit présente en permanence sur le champ de bataille. Avec le développement de nouveaux variants viraux, nos études ont montré que l'efficacité des vaccins diminuait à chaque nouvelle souche et qu'un rappel était nécessaire. »

Menée au CHU UCL Namur, ainsi qu'à la clinique Saint-Luc à Bouges et Saint-Pierre Ottignies, la logistique de l'étude CRO-VAX a été supportée par la spin-off Qualiblood, fondée par le Pr Douxfils. Cette dernière a d'ailleurs permis de mener « une deuxième étude grâce à une plateforme d'analyse Simoa, acquise peu de temps avant la pandémie. »

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Dénommée Covimoa, cette étude avait comme objectif de développer une alternative aux tests PCR. « Ces tests ont de nombreux inconvénients : ils sont chers, très lourds d'un point de vue logistique et l'évaluation de la charge virale est très dépendante de la qualité du prélèvement nasal », énumère le chercheur. « À l'inverse, le sang est homogène et la plateforme Simoa permet d'y détecter certaines protéines ou antigènes viraux avec une très grande précision. Nos tests étaient donc capables de déterminer, grâce à l'estimation de la charge virale, si la personne infectée était susceptible de devoir être rapidement admise aux soins intensifs. »

Pour autant, et en dépit des bons résultats de ces deux études, le professeur Douxfils regrette que ces derniers n'aient pas eu plus d'impact sociétal. « Tout le monde a fait de son mieux dans un contexte de crise, et il n'est pas question de pointer du doigt qui que ce soit », tempère-t-il. « Mais je pense que l'État belge gagnerait à écouter et impliquer les acteurs qui ont travaillé sur cette maladie. » Quant à lui, le professeur Douxfils et ses équipes entendent bien tirer parti des enseignements de cette crise : « Cela nous a incontestablement fait grandir et nous nous tournons aujourd'hui entre autres vers d'autres pathologies, comme les virus de la grippe et le virus syncitial, responsable de la bronchiolite. »

Hésitation vaccinale  

Au total, 33 millions de doses de vaccin ont été injectées en Belgique. Pour beaucoup dans ces immenses centres de vaccination qui ont fleuri à travers le pays, comme à Namur Expo, dirigé un temps par le docteur Dominique Henrion, également médecin généraliste et enseignant au Département de médecine. Le médecin y a alors vu une formidable opportunité : comprendre les ressorts du choix de la vaccination, alors même que le phénomène des antivax prenait de l'ampleur, et se faisait chaque jour plus bruyant dans l'espace médiatique.

« Il faut se rappeler que, dans ce contexte, de nombreuses personnes étaient hésitantes face à la conduite à adopter, ce qui était tout à fait normal », rappelle le docteur Henrion. « Nous avons donc décidé d'interroger les gens qui s'étaient rendus à Namur Expo, et qui avaient fait le choix de se faire vacciner, afin de connaître leur démarche et ce qui les avait convaincus.

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Avec près de 11 000 répondants, cette étude a permis de mettre en avant plusieurs éléments. « La première conclusion que nous pouvons en tirer porte sur le fait qu'aucun profil socio-économique ne permet de prédire qu'une personne soit pro, hésitante ou anti », indique le médecin. « Mais surtout, notre étude a montré que la personne la plus influente sur le choix d'une personne reste le médecin traitant. Bien plus que n'importe qui. »

Une information que le docteur Henrion compte bien partager à ses étudiants, alors même qu'il prend part à la formation des futurs médecins généralistes. « Nous devons insister sur l'attitude et le vrai rôle d'influenceur qu'auront ces praticiens auprès de leurs patients », estime-t-il. « Car, au-delà du simple cachet de confiance que peut avoir le médecin généraliste, cette étude révèle aussi l'importance de son attitude. Trop de praticiens restent dans une attitude de réserve, sans s'impliquer eux-mêmes dans les conseils qu'ils donnent. Or, livrer des éléments personnels, dire qu'on a fait vacciner sa famille par exemple, parle beaucoup. Et surtout, verbaliser ce conseil de vaccination, voilà qui peut avoir un réel impact sur le choix des patients. »

Car pour le médecin, « les praticiens doutent trop souvent du large savoir médical qu'ils détiennent, sous prétexte qu'ils ne sont pas des experts dans tous les domaines. Il s’agit d’une question de posture ! C'est pourquoi il est important de continuer à parler des résultats de cette étude, qui sont riches d'enseignement. »

Immunité et Covid long  

Aujourd'hui, cinq ans après le début de la pandémie, l'urgence a disparu, mais le SARS-CoV-2 est toujours présent. Les recherches se poursuivent, d'abord pour mieux comprendre la réaction de notre propre système immunitaire.

« En plus du système immunitaire adaptatif, représenté par les anticorps, nous disposons d'un système immunitaire inné qui, lui, est capable de réagir immédiatement », éclaire Nicolas Gillet, professeur au Département de médecine vétérinaire et membre de l’Institut NARILIS. « Nous menons des recherches sur la manière dont il lutte face au virus, et comment ce dernier tente de lui échapper. »

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Lorsque le virus pénètre dans l’une de nos cellules, il y déverse son ARN. « La cellule dispose alors d'outils, des enzymes capables d'induire des mutations dans ce génome viral, afin de le rendre inopérant et ainsi ralentir le développement de l'infection », précise le chercheur. « Nous travaillons sur ces enzymes, depuis plusieurs années, via d'autres virus plus courants, comme les adénovirus. Mais nous avons la chance, à l'UNamur, d'avoir un laboratoire de catégorie 3 qui nous permet de travailler sur le SARS-CoV-2 et d'élargir nos compétences. »

Ces recherches ont aussi pour objectif de mieux comprendre cette étrange pathologie qu'est le Covid long. En effet, un nombre important de personnes ayant contracté le Covid-19 continuent de souffrir de symptômes divers, tels qu'une fatigue importante, des difficultés respiratoires, ou encore des symptômes neurologiques comme un brouillard mental et des douleurs.

Très tôt, les chercheurs de l'UNamur, Nicolas Gillet et Charles Nicaise, professeur au Département de médecine et président de l’Institut NARILIS, ont collaboré sur ce sujet pour mieux en comprendre les causes, notamment au niveau du cerveau. « Il existe plusieurs hypothèses à ce sujet. Compte tenu de la variabilité des symptômes de la maladie, il s'agit très certainement d'un phénomène multifactoriel », pense Charles Nicaise. « Pour notre part, nous avons choisi de nous concentrer sur les aspects auto-immuns de la maladie. »

L'hypothèse envisagée par le chercheur, et confirmée par les premiers résultats, implique des anticorps des malades dirigés, non pas contre le virus, mais contre ses propres cellules.

« Les anticorps prélevés chez des patients belges souffrant de Covid long provoquent chez les souris qui les ont reçus, des douleurs qui n'ont pas lieu d'être », dévoile-t-il. « Et nos résultats sont corroborés de façon indépendante par d'autres équipes aux Pays-Bas et aux États-Unis, ce qui est très encourageant pour les patients qui manquent encore de reconnaissance médicale. »

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Dans les prochains mois, le professeur Nicaise souhaite aller plus loin, en découvrant les cellules ou protéines prises pour cible par ces anticorps, afin de mieux comprendre les douleurs dont ils sont responsables. Le combat continue.

Travail d'équipe

Tous les chercheurs interrogés dans cet article ont insisté sur l'importance du travail d'équipe derrière chacune des recherches. Sans le personnel de l'Université, les équipes médicales des établissements hospitaliers, la générosité des patients et surtout l'implication des doctorants, aucune n'aurait pu voir le jour. Qu'ils soient ici remerciés. Plusieurs travaux, comme ceux liés au Covid long, ont été financés grâce à l'appui du FNRS et grâce à la générosité de nombreux donateurs dans le cadre du projet SANA. Enfin, les quelques recherches qui ont été mises en valeur dans cet article ne doivent pas occulter les nombreux autres projets de recherche en lien avec la pandémie de Covid-19 au sein de l'UNamur et qu'il n'a pas été possible de citer.