Discours de la Rectrice, Annick Castiaux, lors de la Cérémonie de rentrée académique 2025-2026 du 25 septembre 2025.
Mesdames et messieurs en vos titres et qualités,
Chers collègues,
Chers étudiants,
Chers amis de l’UNamur,
Ceux qui ont l’habitude de venir à nos rentrées académiques sont peut-être surpris de me voir revêtue de la toge. Il est vrai que ce n’est pas dans mes habitudes. Cependant, il me semblait important de donner à cette cérémonie un peu plus de solennité. D’une part pour célébrer l’entame de ce second mandat de rectrice, d’autre part car le message que je souhaite vous faire passer aujourd’hui me parait tout particulièrement solennel.
Me voilà donc repartie pour 4 années supplémentaires. Je tiens d’abord à remercier les membres de la communauté pour leur confiance renouvelée. Et à souligner à quel point je suis chanceuse de pouvoir compter sur une équipe de grande qualité qui a d’ores et déjà entamé ce nouveau mandat avec enthousiasme, engagement et responsabilité. Je demande à chacune et chacun de se lever quand j’énoncerai son nom. Il y a de nouveaux venus :
- Benoit Champagne, en tant que nouveau Vice-recteur à la recherche et aux bibliothèques. Il succède à Carine Michiels qui a officié à ce poste (et dans bien d’autres responsabilités) pendant les 8 dernières années. Mille mercis à Carine pour son investissement sans faille au service de l’UNamur
- Nouveau venu dans l’équipe également : Stéphane Leyens, que vous avez pu découvrir dans une des vidéos, et qui endosse le rôle de Vice-recteur aux relations et à la coopération internationales. C’est Jeroen Darquennes qui lui cède sa place après aussi 8 années d’accompagnement du développement international de l’université, un de nos 4 axes stratégiques. Un merci sincère à Jeroen qui n’a pu nous rejoindre ce soir.
Quelques anciens membres de l’équipe rempilent. Merci à eux et elles de leur confiance et de leur dévouement :
- Valérie Daenen, notre administratrice générale ;
- Cécile de Terwangne, vice-rectrice aux affaires académiques, ce qui correspond chez nous aux questions RH concernant les académiques et les scientifiques ;
- Stéphane Faulkner, vice-recteur à la transformation numérique, à la qualité et à la communication ;
- François-Xavier Fiévez, vice-recteur aux affaires étudiantes et à la qualité de vie sur le campus ;
- Et Laurent Schumacher, vice-recteur à la formation, mais aussi 1er vice-recteur.
Puis-je vous demander d’applaudir cette magnifique équipe entrante ainsi que ceux qui nous laissent pour retourner à leurs recherches après 8 années de bons et loyaux services ?
Au début du mois de juillet, je me trouvais à Bogota pour l’assemblée générale des universités jésuites qui se tient tous les 3 ans et réunit les représentants de plus de 200 universités venant de plus de 50 pays. Des universités qui, ensemble, représentent à peu près un million d’étudiants. Nous nous sommes interrogés en groupes de travail sur les grands enjeux auxquels nos universités devaient pouvoir répondre individuellement et collectivement. Depuis déjà 10 ans, nous nous inscrivions dans le sillon de l’encyclique Laudato Si’, tentant de contribuer par nos enseignements et nos recherches à un monde plus soutenable. Cet enjeu de la soutenabilité environnementale et sociale reste évidemment une priorité. D’où ma volonté de demander à Amélie Lachapelle d’accompagner notre stratégie de soutenabilité comme chargée de mission « Transitions et développement soutenable ». Amélie, peux-tu te lever ?
A Bogota, nous avons tous constaté que d’autres enjeux viennent se greffer à ce défi du développement soutenable. Nous en avons identifié 3 :
- L’intelligence artificielle, qui, comme toute technologie de rupture, est amenée à transformer la société, et singulièrement les métiers intellectuels ; il est fondamental que l’université investisse dans l’enseignement et la recherche à propos de cette technologie tout en étant aussi le moteur de réflexions inter-disciplinaires sur ses usages, y compris dans nos missions fondamentales d’enseignement et de recherche ; c’est ce que Benoit Frenay a accepté d’entreprendre comme chargé de mission « Intelligence Artificielle », avec le support d’un Conseil de l’IA récemment constitué ; Benoit, je te propose de te lever à ton tour ;
- La santé mentale des étudiants et des membres du personnel, dans un monde de plus en plus complexe et de plus en plus incertain ; c’est notamment ce qui a amené à élargir le portefeuille de François-Xavier Fievez à la question transversale de la qualité de vie sur le campus ;
- Les menaces sur la démocratie, dont les collègues américains (et d’autres pays d’ailleurs) mettaient en évidence le direct impact sur les universités.
En effet, quand des régimes vacillent vers l’autoritarisme, ce sont les voix de la liberté qui sont directement muselées : liberté d’expression, notamment par la culture (je pense à tout le travail sur les confluences que portait le dossier Namur 2030), liberté d’information, par les médias, liberté d’enseigner et de chercher, au sein des universités. Les museler prend différentes formes. Nous en voyons l’expression la plus caricaturale outre Atlantique.
En Belgique, comme en Europe en général, nous bénéficions d’un modèle universitaire de grande qualité que nous devons à la fois mettre en évidence et défendre. Les alliances européennes sont une opportunité magnifique de réaffirmer ce modèle européen. C’est pourquoi j’ai demandé à Anne-Sophie Libert, comme chargé de mission « UNIVERSEH», de nous aider à développer encore davantage celle dans laquelle nous avons la chance d’être entrés et qui adresse un champ crucial pour l’autonomie de l’Europe, à savoir celui de l’Espace. Anne-Sophie, peux-tu te lever à ton tour ?
Oui, notre modèle d’université en Europe, et en particulier en Belgique, est une référence. J’aimerais cependant attirer votre attention sur une série de signaux moins extravagants que les outrances de Trump, mais qui devraient nous alerter quant aux dérives en cours, ici aussi, et à la nécessité de réagir avant qu’il ne soit trop tard. Ces derniers mois, nous avons été confrontés à une série d’attaques plus ou moins frontales qui pourraient être interprétées comme une entreprise de déstabilisation du monde universitaire.
Première tactique : le questionnement de l’utilité des universités, de certaines disciplines en particulier
- « D’accord pour ristourner le précompte professionnel pour les chercheurs en sciences et technologies, mais pas pour la recherche en sciences humaines : elles n’apportent rien à l’économie ! »
- « Les universités surestiment largement leur impact sur l’innovation. »
Deuxième tactique : la remise en cause de la qualité de l’enseignement et de la recherche universitaires
- « On devrait confier les formations des métiers en pénurie aux entreprises, ce serait plus efficace. »
- « Le classement des universités wallonnes dans les rankings n’est quand même pas terrible. »
Troisième tactique : le discrédit jeté sur l’expertise et la pertinence de la recherche universitaire
- « Ces études soi-disant scientifiques sur le climat sont biaisées par l’idéologie. »
- « Vous comparez vos salaires à ceux du privé, mais ce ne sont quand même pas les mêmes profils ! »
Quatrième tactique : la stigmatisation des universités qui seraient des tours d’ivoire où se complait une clique de privilégiés
- « Ces académiques qui ne veulent pas faire un effort pour leur pension, alors qu’elle est scandaleusement élevée… »
- « Vous êtes déconnectés du monde : vos formations sont obsolètes, vos recherches, sans valorisation. »
Toutes ces phrases, je les ai entendues moi-même ou elles m’ont été rapportées par des collègues qui ont essayé de porter la voix des universités auprès de différents acteurs, décideurs politiques ou entreprises. Notre réflexe : la justification. Nous tentons de démontrer, études scientifiques à l’appui, on ne se refait pas, que la vision de l’interlocuteur est fausse ou biaisée. Bien sûr que les universités belges sont performantes : une étude néerlandaise les classe 2ème en Europe en termes de productivité scientifique. Évidemment que nous avons un impact économique majeur : plusieurs études démontrent que chaque euro investi dans les universités occasionne un retour sur investissement direct ou indirect de 4 à 10 euros, suivant le contexte. Mais si, nos étudiants sont bien formés, puisque leur taux d’employabilité avoisine les 90% 3 mois après la fin de leurs études. A l’UNamur spécifiquement, nous sommes à 94%. Et les sciences humaines, évidemment qu’elles ont un intérêt économique. Les entreprises, les hôpitaux engagent de plus en plus de profils de ce type car ils y voient une valeur ajoutée certaine. Et non, on ne coûte pas trop cher, puisque le financement des universités en FWB est de 18 % inférieur à la moyenne européenne. Les profs ont une pension de privilégiés ? Que nenni, c’est une juste compensation pour un salaire modeste en comparaison du privé ou même du monde académique dans des pays limitrophes… En adoptant cette posture de justification, nous endossons de facto les arguments de nos détracteurs. Nous cautionnons l’exigence de productivité économique, les obligations de résultats, l’évaluation par le prisme de l’utilité… Et nous participons au lent mais certain détricotage d’un modèle universitaire remarquable, pilier de la démocratie.
Car oui, l’université est un pilier de la démocratie. Je dirais même un pilier de la démocratie libérale, le modèle de société dans lequel nous avons la chance de vivre depuis la fin de la 2ème guerre mondiale. Celui que Francis Fukuyama (in The End of History and the Last Man, 1992) voyait comme l’apogée des formes de gouvernement, vers laquelle, avec la fin de la guerre froide, toutes les sociétés se tourneraient inévitablement. Ce ne fut pas vraiment le cas… La démocratie libérale, et je reprends ici la définition de Renaud Meltz (The Conversation, 2024), « propose un mariage impossible en liant la liberté des anciens, volonté collective de défendre l’autonomie d’une cité, à la liberté des modernes, collection de volontés individuelles. » Ce modèle fragile est mis à mal à de nombreux endroits du monde. L’approche libertarienne promue par le gouvernement américain actuel a placé le curseur sur les libertés individuelles au détriment d’une gouvernance collective. Ce sont alors les individus les plus forts qui imposent leur point de vue aux autres sous le prétexte de défendre leur propre liberté. D’autres cherchent à mettre le curseur exclusivement sur le collectif, remettant en question les libertés individuelles, reprochant à la démocratie libérale la lenteur qu’impose sa dimension délibérative alors qu’il y a urgence à décider en matière de climat ou de défis socio-économiques. Enfin, comme le mentionnait déjà en 2022 Raoul Delcorde dans son intervention à l’Académie, le numérique fait peser un risque important sur la notion de responsabilité en démocratie, avec le recours aux décisions algorithmiques. Je le cite : « Les pays européens seraient perçus comme trop faibles pour défendre une vision commune de la « démocratie numérique » face à des acteurs comme la Chine. »
Malgré la fragilité du modèle, Renaud Meltz (2024) nous dit que la démocratie libérale est puissante si l’on y adjoint la notion de partage. Quant à Raoul Delcorde (2022), il explique que ce qui permettra à la démocratie de subsister est un renforcement de la solidarité, en particulier à l’échelle internationale. Ces réflexions ont guidé les nôtres, et c’est ainsi que nous avons voulu explicitement mentionner la coopération internationale dans le portefeuille de Stéphane Leyens.
Je prends à témoin mes collègues la rectrice de l’ULiège et le recteur de l’UMons, ainsi que les représentants des autres universités belges, que je remercie sincèrement de leur présence et les invite à témoigner de ce qui suit. J’aimerais ajouter qu’un modèle universitaire qualitativement fort, accessible au plus grand nombre et partie prenante dans le débat public contribue également à renforcer la démocratie libérale. Parce que des citoyens éduqués, rompus à l’exercice de la controverse scientifique, dotés d’un esprit critique solide, y compris face à l’intelligence artificielle et aux dérives populistes qu’elle permet d’amplifier, sont indispensables à préserver le délicat équilibre entre la cité et l’individu. Parce que la nature internationale d’une université, dans son public, dans ses recherches, renforce la solidarité, le respect mutuel et l’envie de faire monde ensemble. Parce que la connaissance créée à l’université, toutes disciplines confondues, a vocation à être partagée comme un socle commun contribuant au progrès de l’ensemble de l’humanité. J’y crois profondément, comme, je le sais, l’ensemble de mes collègues. C’est ce qui nous amène chaque jour dans cette université, malgré les financements rabotés, malgré la déconsidération ressentie, malgré la charge de travail toujours plus importante… Nous venons chaque matin partager nos connaissances et nos expériences avec les étudiants en espérant leur donner les meilleures chances de devenir des citoyens libres, responsables, engagés et, si possible, heureux. Nous venons chaque matin apporter notre modeste brique à l’édifice de la connaissance et du progrès humains. Nous venons chaque matin mettre à la disposition des décideurs publics, des entreprises, des citoyens le fruit de nos recherches, tous domaines confondus et tenter d’éclairer tout un chacun sur tel enjeu technologique, tel phénomène social, telle dérive éthique, tel danger juridique, telle problématique de santé, telle situation géopolitique, etc. Nous venons chaque matin tenter de construire un monde meilleur pour les générations futures. Nous venons chaque matin soutenir la société par nos missions de service public. Et nous en sommes fiers !
Nous sommes fiers de l’UNamur, de son excellence académique, de son attention à l’étudiante et à l’étudiant, et de son engagement sociétal. Et c’est en associant l’équipe rectorale, les collectifs étudiants qui nous ont fait l’honneur de nous rejoindre ce soir, les membres du corps académique et scientifique et tout le personnel administratif, technique et de gestion, qui se dévouent pour nos missions universitaires, que je déclare ouverte l’année académique 2025-2026.
Comme Élise l’a annoncé un peu tôt, il est maintenant temps de nous retrouver pour le verre de l’amitié.
Références :
- Delcorde, Raoul (2022). « La démocratie libérale à la croisée des chemins. » Académie Royale de Belgique.
- Fukuyama, Francis (1992). The End of History and the Last Man. Free Press.
- Meltz, Renaud (2024). « La démocratie libérale suppose un monde partagé. » The Conversation.