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29/09/2022 | Discours de la Rectrice - Cérémonie de rentrée académique

Discours prononcé par Annick Castiaux, Rectrice de l'UNamur, le 29 septembre 2022 lors de la cérémonie officielle de rentrée académique 2022-2023.

De l’ambition pour chacun·e, de l’ambition pour le monde…

Annick CastiauxMesdames et messieurs, en vos titres, grades et qualités,
Chères et chers collègues,
Chères étudiantes, chers étudiants,


Chaleureux merci de votre présence nombreuse à cette cérémonie officielle de rentrée académique qui témoigne de votre attachement à l’Université de Namur.

Il y a un an, je prenais mes fonctions à la tête de cette institution. Je déclarais clairement que l’UNamur avait l’ambition de se développer, mais de se développer de manière raisonnée et soutenable : en partenariat, en évitant la concurrence stérile et en rencontrant toujours davantage les besoins de la société. Ceci a donné lieu au sein de l’université à un travail participatif associant les différentes instances de l’université pour proposer un plan stratégique que nous avons intitulé Univers 2025. Nous avons également décidé de donner à chaque année une thématique particulière soutenue par des appels à projets auprès de la communauté universitaire.

Cette année, c’est l’accompagnement des étudiants vers la réussite qui fait l’objet d’une attention redoublée.

L’ambition que j’affirmais il y a un an, nous la déclinons dans sa vocation première, à savoir l’ambition que nous formulons pour nos étudiantes et étudiants, dans leur diversité croissante. Nous venons d’en voir quelques exemples. Car, finalement, l’objectif n’est pas de développer l’université pour elle-même, mais bien au service de ses premiers bénéficiaires, les étudiantes et étudiants, qu’ils commencent leur parcours en 1er bachelier, en master ou qu’ils accomplissent un parcours doctoral. La mission de re- cherche elle-même a pour premier impact la qualité de l’enseignement dispensé à tous nos étudiants. Donc, oui, l’Université de Namur a de l’ambition pour chacune et chacun.

Cependant, lorsque j’ai évoqué avec les unes et les autres ce thème de rentrée, j’ai constaté quelques froncements de sourcils discrets. Nulle question évidemment, pour mes interlocuteurs polis et respectueux, de critiquer ouvertement ce choix, mais un malaise était perceptible. Dans notre culture de tradition judéo-chrétienne, l’ambition est souvent présentée comme un vice : un manque de modestie, d’humilité. Ainsi, l’un des auteurs préférés du Pape François, José María Pemán, fait dire à Ignace de Loyola dans sa pièce El divino impaciente : « Para el que nada ambiciona, todo el mundo está a la mano. » « Pour qui n’ambitionne rien, le monde entier est à portée de main. » Aux innocents, les mains pleines en quelque sorte. Alors, dans une université jésuite, avoir de l’ambition pour chacun·e, est-ce aller à l’encontre de valeurs fondatrices de notre identité ?

Je me suis interrogée dès lors sur le sens profond de cette ambition que nous formulons pour nos étudiants dans le contexte et avec les moyens qui sont les nôtres.

Cherchons dans le Larousse le mot « Ambition ». Trois définitions sont proposées. Selon la première, l’Ambition est le désir ardent de posséder quelque chose, de parvenir à (faire) quelque chose. Par exemple : « Avoir l’ambition de réussir. » Un synonyme pourrait être aspiration ou souhait.

Quand nous avons demandé aux nouveaux étudiants qui avaient envahi tout l’espace de cet auditoire le 14 septembre quel était le souhait qu’ils formulaient à l’aube de cette nouvelle étape de leur vie, c’est le mot « réussite » qui est venu le plus à leur esprit. Avec le mot « joie » ou le mot « plaisir ». J’ai aussi entendu « anarchie » ou « se bourrer la gueule », pour être tout à fait honnête, mais ce que je retiens c’est qu’en venant à l’université, nos étudiantes et étudiants ont l’ambition de réussir et de s’épanouir. La réalité des chiffres est pourtant tout autre. Nombreuses et nombreux sont les étudiantes et étudiants qui ne passent pas le cap de la première année ou qui passent plusieurs années dans le système universitaire sans jamais obtenir le Saint Graal, ce fameux diplôme supposé ouvrir toutes les portes…

Nous nous heurtons là à la 2ème définition du mot « Ambition » … L’Ambition, c’est la prétention de réussir quelque chose. C’est dans cet esprit que La Rochefoucauld, dans ses Maximes, nous dit : « La plus grande ambition n’en a pas la moindre apparence lorsqu’elle se rencontre dans une impossibilité absolue d’arriver où elle aspire. »

Loin de moi l’idée de stigmatiser les étudiantes et étudiants qui échouent à l’université en leur attribuant une ambition prétentieuse…

A ce point de mon intervention, j’aimerais vous raconter l’histoire de 3 personnes qui me sont proches. Joseph, tout d’abord. Il est un enfant de la guerre, né en 1943 dans une petite ville du Tournaisis. Son père est facteur. Elle fait quelques ménages pour mettre du beurre dans les épinards. Aucun des parents n’a dépassé l’école primaire, mais ils sont curieux de tout, ont une formation fondamentale de grande qualité et encouragent leurs enfants à étudier, parfois à la dure. Joseph est un espiègle, une arsouille, dirait-on à Namur… Mais il est vraiment doué pour les études. Pourtant, à la fin de ses études secondaires, les conseillers d’orientation déconseillent à ses parents de lui faire faire des études supérieures : il ferait mieux d’aller travailler. Nous sommes en 1961. Encouragé par ses parents et certains enseignants qui ont de l’ambition pour lui, il fera une licence en physique à l’Université Catholique de Louvain. Il ratera une année, parce qu’il reste quand même un gamin espiègle et qu’il n’est pas le dernier à guindailler… Mais il y arrivera. Il deviendra enseignant dans le secondaire et transmettra à de nombreux jeunes son amour des mathématiques et des sciences.

La 2ème personne dont je voudrais parler, c’est Marie. Petite dernière d’une famille de la bourgeoisie flamande, née juste après la guerre, elle souffre de dyslexie. A cette époque, on ne connaît pas vraiment ces troubles de l’apprentissage, on les ignore ou on les stigmatise. A l’école, certains enseignants lui ont imposé des lectures à voix haute devant toute la classe. Elle en a gardé un énorme manque de confiance en elle, un véritable traumatisme. Au point que quand ses parents, persuadés de ses capacités, lui proposent d’aller à l’université, elle refuse. Elle fera quand même, grâce à leur soutien, des études d’infirmière. Elle n’exercera pas beaucoup, car elle préférera se consacrer à sa famille. Elle fera preuve toute sa vie, elle fait encore preuve, d’une créativité étonnante, d’une incroyable compétence dans les arts manuels, qu’elle aurait pu valoriser professionnellement si elle avait osé se confronter davantage au monde et si cela avait été davantage valorisé.

Ma 3ème histoire concerne Pablo. Né en 1956 à Bruxelles dans une famille de l’immigration espagnole, il est poussé par ses parents à investir dans ses études. Il réussit plutôt bien, malgré un petit blocage en secondaires : les maths modernes, ce n’est pas trop son truc… mais il adore la chimie et se voit bien travailler dans la recherche industrielle. Quand il a 17 ans, en 1973, son père meurt d’un cancer, suite de ses quelques années de travail dans la mine à Waterschei. C’est non seulement un drame qu’il porte encore aujourd’hui, mais cela signe la fin de son rêve de chimiste. Quelques âmes bien intentionnées lui font comprendre qu’il vaut mieux qu’il aille travailler : sa mère, sans cela, ne s’en sortira pas. Il quitte donc l’école sans diplôme de secondaires, fait différents boulots dans lesquels il réussit bien, pour enfin trouver dans la bijouterie, grâce aux Arts et Métiers et à des mentors inspirants, une vocation alternative dans laquelle il excellera et où il pourra transmettre ses compétences et son art à de nombreux jeunes stagiaires. Mais il gardera toujours au fond de lui le petit regret de ces études dont il avait rêvé.

Ces trois personnes, à la fois victimes et bénéficiaires d’un système d’éducation imparfait, victimes et bénéficiaires d’une culture imparfaite, ont eu la chance de croiser sur leur chemin des personnes qui ont eu pour eux de l’ambition, même si cela ne les a pas toujours menés là où ils espéraient.

Je suis certaine que ces histoires particulières, de personnes qui me sont proches, résonnent chez vous également. Que vous y reconnaissez des personnes de votre entourage à qui notre enseignement supérieur a donné l’opportunité de grandir et de s’épanouir, malgré les obstacles, mais aussi que vous pensez à des histoires de regrets et de vocations manquées.

La situation a évolué depuis les années soixante ou septante. L’accès à l’université s’est considéra- blement démocratisé. Les troubles de l’apprentissage sont reconnus et trouvent un écho dans des pédagogies qui veillent à stimuler les différentes formes d’intelligence. Les aides sociales se sont développées.

Notre système d’enseignement prétend avoir de l’ambition pour toutes et tous. Mais se donne-t-il les moyens de ses ambitions ? Et nous, acteurs de l’enseignement supérieur, nous donnons-nous les moyens de concrétiser la légitime ambition de réussite des étudiantes et étudiants qui nous font confiance?

La diversité croissante du public étudiant doit retenir toute notre attention. Si, il y a 20 ou 30 ans, nous pouvions considérer ce public comme relativement homogène, composé essentiellement d’étudiants en provenance directe d’écoles secondaires et ayant acquis les prérequis indispensables à une forma- tion supérieure, force est de constater que ce n’est plus le cas : les étudiants qui arrivent à l’université ont des parcours antérieurs d’une grande variété, en termes d’acquisition de prérequis, de type de formation, d’origine, de parcours de vie, d’exposition à la vie professionnelle, mais aussi de moyens financiers pour assumer leurs études…

Il y a en théorie des systèmes une loi qui s’appelle la loi de la variété requise, aussi appelée loi d’Ashby. Elle dit que plus un système est varié, plus le système qui le pilote doit l’être aussi. Deux manières, donc, de gérer la situation. Soit on réduit la variété du système, afin d’en faciliter le pilotage, soit on diversifie le pilotage lui-même… Nous tentons d’agir sur les deux plans.

  • Grâce à une collaboration avec les écoles secondaires, notamment dans le cadre du projet Coup de pouce du Pôle académique de Namur ou du MOOC « Visez la réussite », nous tentons de réduire l’écart entre les étudiants qui arrivent dans le supérieur, afin que chacun arrive avec la meilleure orientation et la meilleure préparation possible à l’université ou dans les hautes écoles. Nous allons poursuivre cet effort de collaboration.
  • La diversité des étudiants est aussi une bonne chose : diversité d’origine, de langue, de religion, d’opinion, de genre, d’âge, de mode de fonctionnement, de capacité d’apprentissage, d’objectif professionnel, etc. Cette diversité, nous devons la cultiver car elle est la base de la richesse de notre société. Cette diversité, elle réclame que nous l’appréhendions et que nous nous y adaptions en diversifiant nos méthodes pédagogiques et nos modalités d’accompagnement, afin que chaque étudiant trouve à l’université les mêmes chances de réussir.
  • Mais il existe un troisième volet qui réclame toujours davantage notre attention : la précarité étudiante. Elle est croissante partout, et les circonstances que nous connaissons risquent d’encore l’accentuer. Certes, des subsides sociaux supplémentaires ont été accordés aux institutions pour qu’elles soutiennent davantage les étudiants qui en ont besoin. Ils risquent cependant d’être insuffisants pour garantir à chaque étudiant des conditions d’études et de vie qui soient propices à sa réussite à son épanouissement. Nous allons devoir, plus que jamais, faire preuve de créativité, de mobilisation et de persuasion pour trouver les moyens de maintenir et de développer un cadre favorable à l’épanouissement de tous, un îlot de sérénité dans la tempête, une université véritablement inclusive.

J’en viens à la troisième et dernière partie de mon allocution. Selon la 3ème définition du dictionnaire, l’Ambition, c’est aussi le désir ardent de gloire, d’honneurs, de réussite sociale. Le dictionnaire cite comme exemple « un homme dévoré d’ambition. » Synonyme : convoitise. Ainsi, Montesquieu souligne qu’« Un homme n’est pas malheureux parce qu’il a de l’ambition, mais parce qu’il en est dévoré. » Montesquieu, Mes pensées.) Faisons-nous péché de convoitise ? Sommes-nous dévorés pour nous- mêmes et pour nos étudiants d’une ambition vaine alors que le monde semble s’effondrer ? Dans un monde aussi bouleversé que celui qui est le nôtre depuis quelque temps, que signifie avoir de l’ambition pour nos étudiants ? Dans quel but ? Pour quoi et pourquoi ? A quoi les préparons-nous alors que l’on entend de toute part les sirènes de l’effondrement d’une société qui s’est effectivement laissé dévorer par son ambition de pouvoir et de contrôle sur la nature ?

Les statistiques des sessions d’examen de l’année académique passée montrent, dans toutes les uni- versités, une moindre participation aux évaluations. Qu’en est-il de la motivation des étudiants ? Et que faisons-nous pour faire face à une légitime démotivation dans un contexte mondial décourageant ?

Pourtant, plus que jamais, le monde a besoin de personnes compétentes, qui peuvent appréhender sa complexité, qui peuvent développer des solutions alternatives aux modes de fonctionnement actuels, tant au niveau technologique qu’organisationnel et humain. Mais donnons-nous aux étudiants les clés de ce monde en transition ? Il ne s’agit plus seulement d’intégrer dans toutes les formations une introduction aux problématiques du développement durable et de pouvoir démontrer que l’on a, plus que les autres, dans une approche concurrentielle, une proportion de formations qui éveillent les étudiants aux enjeux de la transition écologique. Nous devons aller bien plus loin, en mettant nos étudiants en capacité d’agir grâce à des compétences spécifiques. Les entreprises ne disent pas autre chose. Lors d’une enquête réalisée en 2020 par le Forum économique mondial sur les compétences attendues par les entreprises en 2025, la pensée analytique et l’innovation, l’apprentissage actif, la résolution de problèmes complexes, la pensée critique et la créativité viennent au premier plan, avant les compétences techniques et technologiques. Les approches pédagogiques multiples développées dans notre université, d’une part ancrées dans la démarche scientifique avec toute la dimension analytique et cri- tique qu’elle demande, d’autre part mettant de plus en plus les savoirs en action par le problem-based learning et le learning-by-doing, répondent déjà en partie à ces attentes. Nous devons encore les développer. A ces approches s’ajoutent deux volets qui me paraissent indispensables : davantage d’interdisciplinarité dans les formations, car la complexité des enjeux de notre temps réclame un dialogue accru entre disciplines, mais aussi une attention croissante à l’éthique et à la responsabilité citoyenne et sociétale. Afin que tous nos étudiants sortent de l’université non seulement avec une formation solide dans leur discipline, qui leur donne la conviction de pouvoir agir, mais aussi avec la capacité de dialoguer dans le respect avec les autres disciplines et avec un sens aigu de leurs responsabilités citoyenne et professionnelle dans ce monde en bouleversement.

Un dernier mot pour mes collègues enseignants-chercheurs… Pour la première fois, nous sommes entrés ensemble, en cortège, à cette cérémonie. Je tenais à mettre à l’honneur les enseignants-chercheurs de l’université, qui représentent ici tous ces collègues qui œuvrent chaque jour dans nos salles de classe, dans nos laboratoires, dans nos administrations. Chères et chers collègues, j’ai beaucoup parlé d’enseignement, et peu de recherche. Pourtant, je le répète, c’est parce que vous développez une recherche de pointe dans vos domaines que vos enseignements gagnent toujours en qualité et se mettent toujours davantage au diapason des besoins de la société. Vos recherches, elles aussi, ont résolument pris le tournant de la transition : en cherchant des solutions technologiques aux problèmes énergétiques, de pollution, de mobilité, de santé, en étudiant les nouvelles méthodes de gouvernance plus respectueuses des personnes et de la société, en s’intéressant à la littérature des invisibles ou en interpellant telle ou telle législation par rapport au respect des droits des personnes, pour ne citer que quelques exemples. Plus que jamais, la recherche universitaire doit se mettre au service de la société, mais elle doit le faire en gardant cette liberté et cette indépendance qui la caractérisent, pour éviter de tomber dans les pièges de l’urgence et du convenu. L’urgence est là, assurément, et elle réclame notre attention, mais en ne voyant que le court-terme, nous risquons de tomber dans une spirale infinie d’urgences qui se succéderont sans que jamais nous n’y soyons préparés. Le rôle de la recherche, c’est précisément de nous préparer au long-terme, dans toute sa complexité.

Je suis tombée par hasard sur une magnifique photo de l’intérieur d’un violon. La petite pièce de bois dressée entre le fond et la table du violon s’appelle l’âme. Ce petit bout de bois est maintenu à sa place sans collage, par la pression exercée par la table. L’âme transmet les vibrations des cordes vers le fond de l’instrument et permet à la table de résister à la pression exercée sur les cordes lors du jeu. Chacun de vous est une âme de cette université, parfois un peu trop sous pression mais essentielle à la résonance de l’ensemble que nous formons. Merci sincère de permettre à notre université de rayonner, de soutenir et rendre possible l’ambition que nous formulons pour les étudiants et de vous mettre au service d’un monde plus juste et plus durable.

C’est avec une ambition renouvelée et sans failles pour l’Université de Namur, pour les étudiantes et étudiants, et pour le monde, que je déclare l’année académique 2022-2023 ouverte.

Annick Castiaux
Namur, le 29 septembre 2022.

Pour (re)voir la cérémonie, c'est ici...