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Namur : Fleuve et rivières - Notre université à l’heure des confluences

Discours prononcé par le recteur Yves Poullet lors de la rentrée académique 2010-2011

« Au centre de la Province et de la Région, au confluent de la Sambre et de la Meuse, au carrefour des grands axes ferroviaires, au nœud des autoroutes, Namur est vraiment la ville des confluences. La géographie en fait le point de rencontre naturel de toute la Wallonie ; ses habitants s’efforcent aussi d’en faire le cœur. Sauvegardant les témoins valables de son passé, mais ouverte à toutes les innovations de l’avenir, la ville enchâssée dans un cadre de verdure, a gardé une taille discrète, celles où tous les hommes peuvent encore se reconnaître ». C’est ainsi que Jacques Denis décrivait Namur dans La Revue Géographique et industrielle de France, Jacques Denis, le recteur qui m’accueillait au sein de nos Facultés comme assistant de droit romain, il y a 36 ans.

Pourquoi évoquer Namur du haut de cette tribune plus accoutumée aux dissertations savantes ou aux réflexions sur l’Université et ses questionnements? Je vous propose un instant de vous laisser porter par cette métaphore géographique. La rivière mène au fleuve qui lui-même conduit à l’océan. La rivière irrigue les terres qu’elle traverse et reçoit d’elles en échange l’eau précieuse qui la fait vivre, la gonfle progressivement et élargit ses horizons jusqu’à l’infini de l’océan. En d’autres termes, l’université dans la mesure où elle ouvre sa communauté étudiante à l’universalité, l’océan de la connaissance, ne peut construire cette ouverture qu’en se situant, en s’enracinant là où elle se construit jour après jour. Elle se doit d’être lieu d’accueil aux personnes et aux interrogations de la société qui l’entourent, être dans la cité ferment de culture et d’innovation.

Une anecdote : je visitais, il y a cinq mois, le campus de l’Université d’Alicante et m’étonnait de la multiplication de petites places toutes différentes dont chacune portait le nom d’un bourg de la province. Le vice recteur qui m’accompagnait m’expliqua alors que chacune de ces places était la propriété d’un de ces bourgs qui y organisaient régulièrement des manifestations. Un musée avec des expositions organisées conjointement par la ville et l’Université, et une bibliothèque ouverte aux gens de la commune, étaient d’autres signes qui témoignaient de cette appropriation par la ville de cette Université.

Notre Université est née à Namur  et Namur présente la caractéristique unique d’être ville, province et capitale de notre Région. Au-delà de fortes collaborations existantes, internationales et nationales, en particulier au sein de notre Académie existante, notre Université, en lien avec la Faculté de Gembloux, les hautes écoles du Namurois et de la Province, entend jouer pleinement son rôle au service de la ville, de la Province, de la Région, de leurs citoyens, des organisations qu’elles abritent et des entreprises y présentes. La force de notre Université, nous entendons en particulier la construire en dialogue avec ceux qui nous entourent et renforcer avec eux le rôle éminent de cette ville en tant que lieu de confluences et d’ouverture « où tous les hommes peuvent se reconnaître ». Je créerai les lieux de ce dialogue et  les moyens de cette ouverture.

Le mot « confluence » mérite une définition qui introduit le deuxième volet de notre réflexion. Une revue de poésie qui porte ce nom définissait le terme comme suit. Le mot « exprime la nécessité de converger ensemble, le mélange des eaux, elle suppose ouverture et respect pour la culture d’autrui et pour la poésie, pour la nature qui nous fait vivre. La confluence suppose aussi une générosité pour donner et pour recevoir la richesse poétique de l’autre, un sentiment de la valeur unique de l’hospitalité à double sens ». À l’heure où notre Université, jusque là fleuve tranquille se retrouve invitée à rejoindre le cours d’autres fleuves et dessiner ainsi de nouvelles confluences, je sais que vous souhaitez que sans détour je vous livre quelques réflexions sur le sens de cette invitation à laquelle il reviendra en toute liberté à notre assemblée générale de répondre. Depuis plus de trois ans, Michel Scheuer et ceux qui l’entourent ont répondu loyalement et activement à l’effort de construction d’une université nouvelle. Cette Université se bâtit sur des valeurs et une vision que nous partageons intensément avec nos collègues de Louvain, de Bruxelles et de Mons, étant entendu que dialogue eu sein de l’Académie Louvain doit servir de base à un autre dialogue ouvert avec l’ensemble des Universités et hautes écoles de la Communauté française au moment des choix difficiles qu’elle devra faire. Cet effort de construction commune, j’entends le poursuivre avec la même loyauté et la même conviction.

Nos discussions au sein de l’Académie nous amènent aujourd’hui à devoir nous situer clairement entre deux conceptions de la fusion, celle de la confluence et celle de la confusion. Mon collègue, le recteur de Louvain, nous a éclairé sur les diverses expériences de fusion universitaire et je l’en remercie. Je retiens avec lui que comme dans le monde des entreprises, les fusions universitaires suivent deux modèles: celle qui impose à chaque entité un modèle commun, une stratégie unique, uniformise, standardise et entend au nom de l’efficacité tout diriger du haut. Le second modèle repose sur une affirmation de l’identité de chacun des partenaires, le respect de leurs valeurs et la recherche ensemble de leurs développements. Elle suppose la consécration à la fois du principe de subsidiarité  au profit des facultés et des entités et du principe  d’une coopération transversale loyale. Elle  conduit à une conception décentralisée de la gestion qui permet souplesse et adaptation aux cultures locales tout en se nourrissant des objectifs définis ensemble. C’est cette seconde conception que je défends et qu’ensemble au sein de l’Académie, nous devons choisir. Il est important d’affirmer que l’université « Louvain » est forte de la pluralité des institutions qui la constituent et est plus qu’une addition de quatre entités : elle doit représenter un plus pour chacune de celles-ci. Elle encourage une émulation au sein d’un réseau commun de coopération et de décision. Toute intégration qui chercherait à réduire l’originalité de l’apport spécifique de chaque institution, standardiserait les manières de faire et ne prendrait pas en compte la richesse d’identités et d’implantations multiples, représenterait un affaiblissement de l’Université nouvelle. Ce que Namur, St Louis, Mons, Woluwé et Louvain apporte chacun à l’UCLouvain, ce n’est pas telle ou telle recherche, telle ou telle faculté, c’est un tout, marqué d’un esprit propre et produit d’une osmose particulière. Qu’on me comprenne bien, pour revenir à la métaphore fluviale, la richesse des affluents n’est pas voulue pour elle-même mais pour grossir le fleuve et porter plus allégrement à la mer les embarcations qui leur sont confiées. « La confluence suppose aussi une générosité pour donner et pour recevoir la richesse poétique de l’autre, un sentiment de la valeur unique de l’hospitalité à double sens »

Dans cet esprit, il revient donc à notre Communauté namuroise avec l’appui de notre pouvoir organisateur, la compagnie de Jésus, de définir l’identité de notre apport, et ce  de manière transparente et ouverte au dialogue avec nos partenaires de l’UCLouvain. C’est mon troisième message. Qu’est ce que nos facultés entendent apporter de spécifique dans cette université nouvelle ? Quelle est cette spécificité que nous demandons de voir reconnue par nos partenaires. Nombre de membres de la Communauté se sont exprimés en ce sens  « Nous savons que des sacrifices, des rationalisations seront nécessaires et nous y sommes prêts. Continuer à tergiverser ne sert à rien si ce n’est qu’à éroder chaque jour un peu plus nos forces. Mettons-nous à table pour définir nos « pôles d’excellence » et réclamons un engagement fort de nos partenaires de miser avec nous sur ceux-ci, étant donné que la réciproque doit être assurée par nous. Soyons innovants tenant compte de nos forces actuelles en particulier des jeunes académiques qui ont fondé leurs espoirs sur notre institution, des coopérations interdisciplinaires que nous pouvons plus facilement lancer, des liens que nous pouvons tisser avec le monde de l’enseignement supérieur mais également avec celui économique et social qui nous entoure. Expliquons à nos partenaires de l’UCLouvain l’intérêt pour la future université d’investir sur chacun de ses sites et donc à Namur, capitale de la région wallonne, en particulier et d’y implanter des programmes d’enseignement et de recherche nouveaux ».

Ainsi, il est urgent - et j’y veillerai -  que par un projet namurois fédérateur et fort, nous donnions sens à notre engagement au sein de l’Université nouvelle. La notion de ‘sens’ renvoie à un regard sur le passé mais cela pour mieux se projeter dans l’avenir. La recherche du sens  oblige approfondir sans cesse l’engagement qui est le nôtre. L’Université se définit dans cet entrelacs de fidélité et d’innovation : « des racines pour avoir des ailes ». Dans un monde changeant auquel elle doit s’ouvrir sans perdre sa liberté créatrice, l’Université se doit d’approfondir les moyens qu’elle met au service de ses finalités et de ses missions spécifiques : « critique des savoirs et éducation au sens plein du terme », deux missions qui s’expliquent l’une par l’autre. Comment Namur peut-elle contribuer à ce devoir dans le respect de sa tradition pédagogique, en particulier du souci des personnes, du goût de l’innovation et du sens de la responsabilité sociale? Le Supérieur général de la Compagnie de Jésus lors d’une récente rencontre des universités jésuites à Mexico, résumait comme suit le projet pédagogique: « Oser l’imaginaire pour s’enraciner dans le réel. ». Notre communauté d’enseignants se doit de répondre concrètement à la question du comment concilier profondeur de la connaissance, critique, sens des valeurs et créativité dans un monde changeant et ayant perdu ses repères traditionnels. En matière de recherche et, lié à cette recherche, d’enseignement en particulier de deuxième cycle, nous chercherons, dans le contexte de la vision commune de développement de l’UCLouvain, et sous la responsabilité commune de notre Conseil d’administration et de notre conseil académique, des niches, le plus souvent nouvelles,  des niches spécifiques en lien avec nos atouts, notre environnement et nos convictions profondes, niches dont Namur doit pouvoir assurer le leadership au sein de l’UCLouvain et servir ainsi au développement de l’« Europe de la Connaissance ».

Au-delà, deux chantiers retiendront en particulier mon attention: le premier est fondé sur des décisions déjà prises en matière de politique du personnel : il s’agit de lancer au sein des facultés, une politique de mobilité du personnel, une sorte d’insourcing basé sur la démarche volontaire ; il s’agit également par la signature en mars 2010 de la Charte de la diversité proposée par la Région Wallonne, de lutter sur les lieux de travail contre toute forme de discrimination raciale, ethnique et autres. Un second chantier nous attend : il s’agit de relayer des initiatives qui, depuis 1990, ont vu le jour ici à Namur et visent à assurer le développement durable de ce campus. Un bref historique de ce mouvement est signé par mon collègue Xavier Thunis et est disponible pour ceux qui le souhaitent. J’entends que l’Université de Namur puisse être un lieu de recherches, de mise en œuvre et d’expérimentation de politiques de développement durable.

En définitive, ce que nous proposons, c’est une double démarche, d’une part, un approfondissement interne du projet namurois et, d’autre part, la construction commune de synergies au sein de l’UCLouvain. Cette démarche n’est possible que dans la sérénité et la confiance tant internes, au sein de notre institution, qu’externes, dans nos relations avec nos partenaires. Au-delà, elle suppose que notre institution, dans le cadre d’une université fusionnée, puisse continuer à définir, certes en dialogue avec ces partenaires, ses centres d’excellence tant en enseignement qu’en recherche et qu’elle puisse y investir. Ceci implique la nécessité d’obtenir à la fois des garanties à la fois sur les ressources en personnel et financières pour chaque entité et, au sein de ces dernières, de disposer d’un Conseil d’entité légitime, fort et entendu capable de définir et de  renouveler notre apport. .

À cet égard, il serait erroné de croire que le seul dialogue au sommet de l’édifice de notre nouvelle Université puisse suffire. Le dialogue doit se nouer à tous les niveaux. Qu’il s’agisse du dialogue entre les facultés ou au sein des groupes de travail communs déjà mis en place, il se doit d’être plus transparent pour l’ensemble des acteurs intéressés et se doit de se donner le temps de la réussite bien au-delà de la date de la fusion. Si ces prémisses sont respectées et avec un système qui fasse un juste équilibre entre centralisation et décentralisation, la fusion sera vécue non comme une fatalité mais comme porteuse d’espoirs et comme un plus pour chacun des membres de notre communauté. Il faut oser un nouveau discours, non celui de la peur, mais du rassemblement et de l’audace. Il faut définir des priorités, des axes nouveaux de développement. Je crois à la force de conviction, que peut avoir vis-à-vis de nos partenaires un discours non pas centré sur la seule compétitivité internationale de l’université future et sur les préoccupations institutionnelles de gouvernance mais sur des projets créatifs définis en des lieux multiples à harmoniser ensuite et à réaliser ensemble au sein de notre université nouvelle, au sein des réseaux d’enseignement et de recherche de la Communauté française et de l’Union européenne, portant plus haut et plus loin le rayonnement de nos facultés namuroises. 

Voilà le sens que je donne à mon rectorat. 36 ans d’enseignement, 11 ans de décanat de la faculté de droit et 30 ans de direction du CRID m’ont appris certes la difficulté de la tâche de la gestion et de l’animation d’un groupe d’étudiants, d’enseignants, de chercheurs. Ils m’enseignent surtout que la réussite n’est jamais celle d’un homme mais d’une équipe. La collaboration de l’équipe, celle en place au sein des conseils académiques et d’administration, au-delà, celle de toute notre communauté me rassurent et me réjouissent. Avec eux, je souhaite à tous les étudiants qui nous rejoignent aujourd’hui une année académique à la découverte d’un savoir qui ouvre  à la connaissance du monde, des autres et surtout d’eux-mêmes.

Au bas de la rue, coule la rivière tranquille, courons-y, embarquons ensemble et que le fleuve nous porte jusqu’à l’infini de l’océan.

Yves Poullet, 16 septembre 2010