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Discours de rentrée 2003-2004

HARMONISATION EUROPENNE: A UN AN DE L'ECHEANCE, QUELLES PERSPECTIVES POUR LES UNIVERSITES EN COMMUNAUTE FRANCAISE DE BELGIQUE

Depuis des mois, notre communauté universitaire toute entière réfléchit et travaille à la mise en place de ce qu’il est convenu d’appeler le « processus de Bologne ». Cette réflexion se vit à l’intérieur de chaque département et de chaque faculté, mais aussi bien sûr de façon transversale entre les mêmes départements et les mêmes facultés des différentes  universités en Communauté française. Sauf accident de parcours, nous voici aujourd’hui à un an de la réorganisation de l’enseignement universitaire dans le cadre de ce processus d’harmonisation européenne. Il m’a dès lors semblé important, à l’occasion de cette rentrée académique, de faire le point sur cet énorme chantier qui est aussi un défi extrêmement important pour toute notre communauté universitaire : quel est le chemin parcouru depuis cette fameuse « déclaration de Bologne » de juin 1999 signée par 29 pays européens – 29, c'est-à-dire bien plus que la seule Union Européenne - et quelles sont pour nous les perspectives prévisibles à moyen terme ? 

L’intention est claire : il s’agit de créer un espace européen de la connaissance et de la recherche, et, pour ce faire, il y a donc la volonté de mettre en œuvre toute une série de mesures précises qui vont tendre à une plus grande harmonisation des parcours universitaires et favoriser ainsi la mobilité des étudiants, des chercheurs et des enseignants au sein de cet  espace européen. Le fait que cette déclaration ait été signée à Bologne n’était pas le fruit du hasard ; c’était l’occasion d’affirmer la continuité avec la « Magna Charta » signée par plus de 400 universités dans cette même ville de Bologne en 1988. 

Quelles sont les principales mesures suggérées et quels sont les premiers pas déjà réalisés dans le cadre de leur mise en application ?

-  les différentes étapes de chaque cursus sont estimées en termes de crédits européens transférables, les fameux ECTS, qui ne considèrent plus le nombre d’heures de cours ou de travaux pratiques, mais le temps que l’étudiant doit investir pour un cours donné ; ce temps englobe donc aussi son travail personnel ou en groupe et ses recherches en bibliothèque ou sur internet ;

l’instauration du « supplément au diplôme » qui permet une meilleure lisibilité des diplômes au sein de l’espace européen et favorise donc la mobilité ;

- la mise sur pied d’un système d’évaluation de la qualité qui serait généralisé et, dans toute la mesure du possible, harmonisé au sein de l’Europe ;

- différentes initiatives à l’échelon des pays, mais aussi de l’Europe, seront prises pour renforcer la mobilité non seulement des étudiants, mais aussi des chercheurs,  des enseignants et du personnel administratif ;

- l’intégration dans les formations universitaires d’une approche de l’Europe comme telle et des dimensions européennes des savoirs ;

enfin, la création au sein de l’espace européen d’une architecture commune des formations assurées dans l’enseignement supérieur, et donc le passage au fameux système « BA – MA », baccalauréat, normalement de trois ans, à l’issue duquel l’étudiant devrait en principe avoir acquis les compétences nécessaires pour entrer sur le marché du travail, et la maîtrise, idéalement de deux ans, qui, grâce à un approfondissement des connaissances et des compétences, vise une préparation à la recherche et une intégration dans le monde du travail.

Si les premières mesures que je viens de citer sont déjà aujourd’hui partiellement ou totalement réalisées, je pense aux ECTS et au supplément au diplôme, le plat de consistance est encore à venir ; il s’agit bien évidemment de la réorganisation de notre enseignement universitaire qui doit passer des candidatures et licences actuelles aux futurs baccalauréats et maîtrises. Où en sommes nous ?

Plusieurs pays européens, dont la Belgique, présentent un système d’enseignement dit « binaire » : chez nous, c’est la distinction entre universités et hautes écoles. Lors de la réunion de 32 ministres européens de l’éducation qui s’est tenue à Prague   en mai 2001, la notion de « professionnalisation » du 1er cycle ou « employabilité » a été assouplie : dans les pays qui connaissent cette structure binaire, il suffisait que cette composante professionnalisante soit présente dans l’enseignement hors université. Cette question a fait l’objet d’un large consensus en Communauté française où personne ne souhaitait remettre en cause ce système binaire. Les hautes écoles de type court continueront à assurer en trois ans un enseignement à visée professionnelle, ce qui correspond bien à la définition du futur « baccalauréat ». Du côté de l’université, les baccalauréats seront pensés et organisés pour conduire normalement l’étudiant à un parcours complet, et donc à la maîtrise.

Sur cette base, les neuf recteurs réunis au sein du CRef se sont mis d’accord en décembre 2001 sur un document définissant les balises en matière de mise en place de la nouvelle architecture « baccalauréat-maîtrise », et notamment sur les quatre points suivants :

- les baccalauréats seront de trois ans, ou plus exactement seront composés de 180 ECTS, et les maîtrises de deux ans, soit 120 ECTS ;

- dans le cadre de leurs habilitations, les institutions dites « incomplètes » pourront organiser la troisième année du 1er cycle ;

- le taux de financement de la future troisième année du 1er cycle sera maintenu au niveau de celui octroyé actuellement pour la première année du deuxième cycle, ce qui garantit le financement des institutions monofacultaires ;

- la réforme débutera au plus tôt en septembre 2004 et au plus tard en septembre 2005.

Mais très vite se pose la question des synergies avec les Hautes Ecoles. Dès le début de l’année 2002, on voit apparaître deux « pôles » regroupant une ou plusieurs universités avec des hautes écoles : le premier autour de l’Université Libre de Bruxelles et le second autour de l’Université de Mons-Hainaut. Quelques mois plus tard, le « Pôle Mosan » est constitué autour de l’Université de Liège ; de leur côté, les universités et hautes écoles d’inspiration chrétienne ainsi que la Faculté Polytechnique de Mons se regroupaient au sein de l’« Association de l’Enseignement Supérieur en Communauté française de Belgique ». Si l’on ne peut que se réjouir de ces recherches de synergies et de collaborations ainsi établies entre universités et hautes écoles, il faut bien regretter le repli entamé par ce mouvement vers des entités homogènes sur le plan philosophique ou confessionnel…

A l’approche des échéances d’harmonisation européenne, les recteurs ont rencontré successivement les présidents des quatre partis politiques francophones ; ceux-ci ont été unanimes pour dénoncer le trop grand nombre d’institutions universitaires en Communauté française. De son côté, la Ministre de l’enseignement supérieur a clairement exprimé son intention de lier la mise en place du processus de Bologne à une reconfiguration du paysage universitaire et donc à une rationalisation de l’offre.

Au début de cette année 2003, le message du monde politique aux universités pouvait donc s’interpréter comme suit

- même s’il y aura, à échéance 2007-2008, un certain refinancement des universités par la Communauté française dans le suivi des accords dits « de la Saint Polycarpe », il sera insuffisant et ne répondra pas aux attentes et besoins des universités ;

- il n’est pas possible à terme que « tout le monde fasse tout » ; des choix et des spécialisations seront donc indispensables ;

- la seule solution aux problèmes que rencontrent les universités est d’approfondir les coopérations existantes entre elles et d’en développer de nouvelles.

Avec l’aide de deux grands commis de l’Etat appelés « facilitateurs » et désignés par le pouvoir politique en accord avec les recteurs, les autorités des différentes institutions universitaires ont cherché, d’une part, comment relever ensemble les nouveaux défis de l’harmonisation européenne et, d’autre part, comment rencontrer les souhaits du pouvoir politique. Dans la longue tradition des « piliers » de la société belge, ces rapprochements universitaires se sont très vite polarisés en référence aux options philosophiques des uns et des autres. Tout en nous réjouissant de la qualité de nos futurs partenaires, nous ne pouvons nous empêcher de trouver regrettable ce repli exclusif sur les piliers traditionnels de la société belge, non seulement parce qu’il est à l’opposé d’une véritable perspective universitaire d’ouverture et de dialogue, mais aussi parce qu’il s’agit sans doute là d’une occasion manquée de laisser s’exprimer, de renforcer et de développer les synergies existantes parmi l’ensemble des universités de la Communauté française.

Ces rapprochements imposés par le pouvoir politique se sont donc très vite concrétisés comme suit : un « agrégat » - la dénomination est encore provisoire – entre l’ULB, l’UMH et la FPMs, un autre entre l’ULg et la FUSAGx et enfin un troisième entre l’UCL, les FUNDP, les FUCaM et les FUSL. Ces quatre dernières institutions, dont la nôtre, se sont engagées en avril dernier, à examiner les « différentes formes de collaboration qu’elles pourraient développer pour répondre aux questions suivantes :

comment atteindre la dimension européenne en matière de recherche et     d’enseignement ?           

- comment renforcer le développement de chaque institution dans un ou plusieurs domaines d’excellence d’enseignement et de recherche où elle pourrait jouer un rôle moteur au service de tous ?

- comment éviter les redondances onéreuses, notamment à travers une concertation sur les recrutements académiques, définir et répartir les spécialisations, tous cycles confondus, dans le cadre des habilitations respectives ?

comment trouver une solution à la question posée par les sections « très peu fréquentées » de longue date et à l’éparpillement des ressources affectées à ces sections ?

comment partager des expertises spécifiques et certaines ressources spécialisées ? »

La déclaration signée avec nos trois partenaires précise enfin : « L’examen approfondi qu’entreprennent les FUCaM, les FUNDP, les FUSL et l’UCL est réalisé dans le respect de l’autonomie de gestion de ces institutions ; il n’exclut pas la recherche de coopérations renforcées ou nouvelles avec les autres universités de la Communauté française. »   La défense de l’autonomie et de la spécificité de notre institution doit rester l’objectif majeur, le cap à conserver tout au long de ce processus de rapprochement qui est amorcé.

Depuis le mois de juin dernier, plusieurs groupes de travail se sont donc constitués pour examiner les possibilités de synergies évoquées dans la déclaration.

- un premier groupe examine la possibilité de mettre sur pied une grande « école de gestion » ; c’est le seul domaine commun d’études qui concerne chacun des quatre partenaires;

- un deuxième groupe est chargé d’examiner les partages possibles en matière d’expertises spécifiques et de ressources spécialisées ;

- les recteurs se sont réunis à de nombreuses reprises, notamment pour préparer les négociations avec le Cabinet de la Ministre en matière de rationalisation des toutes petites sections.

Parallèlement à ces contacts, les recteurs ont eu des réunions de travail régulières avec les deux « facilitateurs » chargés de préparer un avant-projet de décret dont le texte est attendu dans les prochaines semaines et qui doit revoir toute la législation relative aux institutions universitaires, tant en ce qui concerne l’organisation des études, et donc la mise sur pied du système « baccalauréats – maîtrises », qu’en ce qui concerne le financement. Sur ce dernier point, un accord existe pour trouver des règles nouvelles qui fassent en sorte qu’il n’y ait « ni gagnants, ni perdants » !

Pour aider le recteur à mener à bien ces difficiles négociations, le Conseil d’Administration a mis sur pied un « groupe stratégique » de cinq personnes, dont le Président de l’Assemblée générale. Dans le cadre du Conseil académique, les doyens ont été régulièrement consultés et informés à chaque étape de ce processus, ce qui leur a permis de relayer les informations au sein de leurs facultés et de chaque département. Mais c’est bien évidemment en dialogue avec l’Assemblée générale et le Pouvoir Organisateur que le Conseil d’Administration a géré ce dossier stratégiquement capital pour l’avenir de notre institution universitaire. Au mois d’avril dernier, l’Assemblée générale et le Pouvoir Organisateur ont marqué leur accord à l’ouverture des négociations qui se sont engagées depuis lors avec les trois partenaires que j’ai cités et ont renouvelé leur entière confiance dans la manière dont le Conseil d’Administration gère cette problématique. La mise en œuvre du décret sur la participation estudiantine permettra par ailleurs d’associer plus étroitement les étudiants à ces processus qui engagent l’avenir de notre Institution.

C’est donc toute notre communauté universitaire qui est invitée aujourd’hui à regarder vers l’avenir, et à le faire avec confiance, dans la fidélité aux valeurs qui portent notre institution depuis plus de 170 ans ! Permettez-moi, si vous le voulez bien, d’évoquer brièvement quelques unes d’entre elles qui me paraissent conditionner notre avenir.

Le processus d’harmonisation européenne nous invite plus que jamais à élargir nos horizons bien au-delà de nos petites frontières, à renforcer nos collaborations scientifiques et pédagogiques avec de nombreuses institutions universitaires en Europe et dans le monde. Cette dimension universelle de notre travail universitaire fait partie de l’héritage reçu de la Compagnie de Jésus qui a fondé plus de cent universités réparties aux quatre coins de notre planète ; dans les rapprochements universitaires qui s’imposent à nous aujourd’hui, il nous faudra veiller à développer plus que jamais cette ouverture sur le monde et à privilégier, chaque fois que faire se peut, des contacts avec les universités du Sud !

Toujours dans la fidélité à l’héritage de la Compagnie de Jésus, il nous faudra investir davantage encore dans la spécificité de notre pédagogie. Ce fut le thème de la « Journée de l’enseignement » du 15 mai dernier et la Commission de l’enseignement va recueillir les fruits de cette après-midi de travail pour que nous puissions, dans la mise sur pied des nouveaux programmes de baccalauréats et de maîtrise, renforcer la dimension pédagogique et la qualité de l’accompagnement des étudiants, avec un effort tout spécial au profit de ceux de première année. Ceci ne continuera à être possible que grâce à la grande disponibilité des enseignants vis-à-vis de leurs étudiants ; c’est une caractéristique de nos Facultés qui a marqué des générations d’étudiants et qui marque encore les jeunes qui nous font confiance aujourd’hui. Notre charte, citant elle-même la « magna charta » des universités européennes signée à Bologne en 1988, ne dit-elle pas à ce propos : « …les FUNDP sont, au sens de la tradition universitaire européenne, ‘un lieu de rencontre privilégié entre professeurs, ayant la capacité de transmettre le savoir et les moyens de le développer par la recherche et l’innovation, et étudiants, ayant le droit, la volonté et la capacité de s’en enrichir’ » ? Il nous revient à tous de faire en sorte que notre université soit ce lieu de rencontre privilégié entre professeurs, chercheurs, personnel administratif et étudiants ! Un lieu de rencontre et de travail, de partages et de découvertes, d’exigence et de rigueur, où « l’attention à l’hommes se vit dans le respect, la confiance et la reconnaissance de la contribution de chacun à l’œuvre commune ».

Par ailleurs, nos Facultés ont toujours eu le souci d’assurer à leurs étudiants une formation humaniste, qui allie la rigueur scientifique dans les différentes disciplines à la réflexion, à partir des sciences humaines, sur les questions de sens : cette formation, comme le dit notre Charte, « accorde toute son importance à la réflexion sur le sens de l’homme, de sa vie et de sa mort, de son oeuvre, de son histoire, et sur les valeurs constitutives de la société dans laquelle il vit ». Les futurs programmes de baccalauréat et de maîtrise devront maintenir, et si possible étoffer, cette dimension interdisciplinaire de la formation.

En matière de recherche aussi, nos Facultés ont toujours veillé d’une part à maintenir leur indépendance vis-à-vis de tous les pouvoirs, qu’ils soient économiques ou politiques, et d’autre part à faire en sorte que les recherches entreprises soient porteuses de sens. Comme l’écrivait il y a vingt ans déjà le Professeur Jean Ladrière, docteur honoris causa de notre université,  « des considérations éthiques peuvent nous imposer de renoncer à certains objectifs de recherche…des exigences d’ordre social peuvent nous imposer d’orienter la recherche dans certaines directions privilégiées ». [1]

Comme vous pouvez vous en rendre compte, le défi que nous aurons à relever tous ensemble est de taille : il nous faut nous engager avec conviction dans ce processus d’harmonisation européenne tout en trouvant notre place dans la nouvelle configuration de l’enseignement universitaire en Communauté française. Pour y donner pleinement notre mesure et garantir l’autonomie de gestion de nos Facultés, c’est la fidélité même aux caractéristiques essentielles de notre Institution qui nous permettra de franchir ce cap avec audace et enthousiasme et de poursuivre notre route, au service de la société, de notre région, mais aussi à l’horizon de notre vaste monde !

Namur, le 16 septembre 2003.
Michel Scheuer, recteur




[1] Jean Ladrière, « Liberté académique aujourd’hui », in Revue trimestrielle des amis de l’Université de Louvain, automne 1982,p.6