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Discours de rentrée 2000-2001

L'UNIVERSITE AU MILIEU DU GUE

Lors de la rentrée académique précédente, j’avais essayé de cerner les principaux défis qui guettent l’Université, défis externes tels que ceux lancés par une société en pleine mutation scientifique et technologique, défis internes tels que le renouvellement important du personnel académique durant les prochaines années.

Je voudrais vous inviter aujourd’hui à tenter de mesurer l’écart grandissant qui sépare les demandes adressées à l’université, d’une part, et les moyens que la société lui octroie d’autre part.  C’est ce contraste qui amène à suggérer que l’université se trouve « au milieu du gué ».

Dans le mémorandum qu’ils ont publié il y a quelques mois à l’intention des responsables politiques, les recteurs des institutions universitaires de la Communauté française « constataient à quel point l’Université d’aujourd’hui est confrontée à une demande croissante de missions de grande ampleur ».  Et les recteurs d’énumérer quelques « nouvelles » missions ou tout au moins quelques missions qui prennent aujourd’hui des accents nouveaux.  Citons à titre d’exemple :

-         Intensifier la formation continue et faciliter la présence d’adultes à l’université ;

-         Contribuer au développement économique des régions par la recherche appliquée, la valorisation de la recherche et la création de sociétés novatrices ;

-         Participer à la coopération avec les pays en voie de développement ;

-         Répondre aux interrogations de la société face, entre autres, à l’émergence de la globalisation.

Si l’on se rappelle que le service à la communauté est une des trois missions fondamentales confiées par la société, dans le cadre des dispositions législatives, à l’université, on ne peut que se réjouir en constatant aujourd’hui que cette même société fait de plus en plus appel à l’université, appel à ses compétences, à sa dimension critique ainsi qu’à sa capacité de créer de nouveaux savoirs.  Et cet appel de la société est de plus en plus entendu et répercuté au sein des institutions universitaires qui doivent veiller par ailleurs à préserver leur spécificité et donc à analyser chaque demande pour voir si elle s’inscrit bien dans le cadre des missions fondamentales de l’université.

Cette dimension de service à la communauté est déjà présente dans l’adaptation continue des programmes d’enseignement de m^me que dans la réflexion en vue de la création de nouveaux programmes, parfois destinés à de nouveaux publics ; elle l’est aussi dans la définition de nouveaux axes de recherche ainsi que dans la disponibilité des équipes de chercheurs au profit des demandes en provenance du monde économique et social ou des décideurs politiques ; elle l’est enfin dans le souci permanent que nous avons de rencontrer les besoins des personnes fragilisées ou les appels en provenance des régions les plus défavorisées de notre pays ou de notre planète.

On ne peut donc certainement plus reprocher aujourd’hui à l’université de vivre dans sa tour d’ivoire, de développer systématiquement de nouveaux savoirs qui ne correspondraient à aucune attente de nos contemporaines et d’ignorer son environnement culturel, social et économique.  L’université d’aujourd’hui est bien consciente qu’elle ne peut se désintéresser de ses liens avec l’entreprise,  du développement de l’emploi, du transfert de technologies, de l’innovation économique ; une université qui ne s’ancre pas dans son tissu culturel, social et économique et qui ne s’engagerait pas résolument dans des collaborations régionales et internationales est vouée à l’asphyxie progressive.

Pour notre part, il y a sept ans déjà qu’après un long travail de maturation au sein de notre communauté universitaire toute entière et en dialogue avec le Pouvoir Organisateur, l’Assemblée Générale inscrivait dans la Charte cette mission de service : « En liaison avec l’enseignement et la recherche et dans le respect de sa démarche propre et de son indépendance, l’Université interpelle la Société et répond aux interpellations de celle-ci.  Ainsi, les FUNDP se veulent un ferment pour leur région : elles entendent collaborer à son développement culturel, social, politique et économique, en partenariat avec les acteurs locaux.  Elles suscitent au sein et au delà de la communauté universitaire, l’analyse des problèmes majeurs de société, en particulier celui de l’inégalité entre les hommes et entre les peuples ».

En 1998, cette même Assemblée Générale précisait ses « dix priorités » : l’une d’elles reprend avec force cette dimension d’ouverture de l’Université : « Assurer une réflexion sur la présence de notre université dans la société, et donc sur les initiatives à prendre en cette matière, sur les structures à mettre en place et sur les implications en matière d’enseignement et de recherche. »  Et tout récemment, un groupe de travail a été mis en place pour réfléchir à l’ancrage régional de l’université et faire des suggestions aux instances compétentes.  Ces différentes prises de  position ne doivent pas être comprises de manière unilatérale ; elles tentent d’exprimer un équilibre parfois difficile à trouver avec les deux autres missions de l’université : l’enseignement et la recherche.

Si la société multiplie ses demandes à l’égard de l’université, il faut bien reconnaître qu’elle lui donne de moins en moins les moyens nécessaires pour y répondre.  Voilà donc bien l’université « au milieu du gué », sollicitée vers l’autre rive par les demandes qui lui sont adressées, mais incapable de faire le pas, faute de moyens.  Comme le mentionne à juste titre une étude récente de l’OCDE, « Alors que la demande augmente, se diversifie et s’internationalise, les ressources publiques des universités diminuent.  Ceci est d’autant plus paradoxal que l’enseignement universitaire et la recherche sont de plus en plus reconnus tant comme facteurs d’équité et d’efficacité économique que comme des sources importantes d’externalités positives ».

S’il est vrai que dans plusieurs états européens, le financement de l’enseignement supérieur ne connaît plus de croissance significative, une étude comparative réalisée en 1996 par l’OCDE dans dix pays européens dits « riches » met en évidence que la Belgique se situe en neuvième position en ce qui concerne les dépenses publiques par élève de l’enseignement supérieur.  Notre pays se situe à la septième place si l’on étudie les dépenses publiques au profit de tous les niveaux scolaires confondus.

La situation des universités en Communauté française de Belgique a donc suscité ce véritable cri d’alarme des recteurs, repris dans le mémorandum évoqué plus haut : « la pauvreté du financement des institutions universitaires rendra bientôt celles-ci incapables de répondre à la demande de la société ».  Nous sommes bien conscients de la complexité de la situation budgétaire et politique qui doit amener les décideurs à faire preuve d’imagination et de créativité.  Il faudra veiller avec la plus grande attention à exclure toute piste de solution qui consisterait à restreindre le libre accès de tous à l’université et à freiner une véritable démocratisation de l’enseignement supérieur ; affirmons le très clairement, notre société ne peut se tourner vers une formule de l’université à deux vitesses.

C’est un cri d’alarme que l’université francophone lance aujourd’hui.  Elle le fait sans corporatisme et en reconnaissant que d’autres besoins criants sont mal et trop peu rencontrés dans notre pays, au moment où nos dirigeants se concertent pour affecter les marges budgétaires : je songe à l’enseignement supérieur non universitaire qui n’est pas mieux loti que l’université, aux actions de promotion de l’emploi, aux soins de santé , au secteur des pensions, aux conditions d’accueil des candidats réfugiés, à la prise en charge dans la dignité des personnes âgées et en fin de vie, au respect de l’environnement, au secteur de la culture…  Notre société se voit confrontée à de véritables choix qui supposent d’établir des priorités ; pourrons-nous comme nous y invité notre Charte, « accorder un souci particulier à ceux que l’histoire humaine a rendus pauvres, fragiles, opprimés » ?

Je ne doute pas que notre communauté universitaire toute entière, consciente des valeurs qui l’ont nourrie et l’animent encore aujourd’hui, sera soucieuse de cette solidarité et veillera chaque fois que c’est possible, au cœur même de l’enseignement, de la recherche et du service à la société, à privilégier les axes que je viens d’évoquer.

Je déclare ouverte, sous la garde de Notre-Dame de la Paix, cette année académique 2000-2001, première du troisième millénaire.

Michel Scheuer, recteur