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Discours du recteur Naji Habra lors de la cérémonie d'ouverture officielle de l'année académique - 08/10/2020

Discours prononcé par le recteur Naji HABRA à l'occasion de la cérémonie d'ouverture officielle de l'année académique 2020 - 2021, le 8 octobre 2020.

 

Une Université dans la crise - une université après la crise

 

Mesdames et Messieurs en votre titre et qualité,

Je vais me contenter aujourd’hui de cette formule simple, sans citer les titres, pour insister sur la qualité d’une communauté humaine que nous formons.

Mais aussi, pour des raisons pratiques. Avec tous les changements, il est difficile de citer en respectant le protocole tous les titres : les 3 ministres régionaux annoncés sont en quarantaine depuis hier, un député namurois devient ministre fédéral, et mes chers collègues recteurs deviennent mes chères collègues rectrice et recteurs.

Bienvenue à cette rentrée académique, une rentrée assez particulière, en plein cœur d’une « crise »… Une crise « sanitaire », certes, et, je l’espère, une crise considérée plus largement que sur le seul plan sanitaire.

 

La crise : deux facettes

Dans le palmarès des mots les plus entendus au cours de ces 7 derniers mois, pas très loin du mot « covid », se place le mot « crise ».

J’aime beaucoup la manière, dont la pensée chinoise désigne le concept de « crise ». La « crise » est représentée par un double idéogramme associant deux constituants.

Le premier, « Wei », évoque le risque, le danger.

L’autre, « Ji », évoque la transformation ou le point de de rupture, que d’aucuns traduisent approximativement par opportunité.

 

D’abord, le versant sombre celui du risque et du danger (Wei).

La crise, c’est dur. Ne passons pas sous silence les difficultés, les maux et les malheurs que vivent la communauté en général et la communauté universitaire en particulier : maladie ou décès d’un proche, éloignements, difficultés économiques, et puis le stress, la fatigue et le découragement que je ressens bien présents autour de moi.

C’est la reconnaissance de la souffrance des uns et des autres ainsi que la solidarité qui l’apaise, qui font réellement de nous une « communauté humaine ».

Mais ne nous décourageons pas.

Ne nous décourageons pas.

Cette crise, nous sommes contraints de la traverser… mais nous pouvons aussi, nous devrions aussi, la saisir comme une opportunité « Ji ».

Et oui, le changement peut être positif à condition de bien s’y prendre, de bien apprendre de ce qui nous arrive.

C’est bien de cela qu’il s’agit aujourd’hui « de l’avant pour l’après ».

Pour rester dans l’étymologie chinoise, dans le mot « crise », il y a cette idée de « rupture ». Il ne s’agit plus d’une transformation douce, d’une évolution naturelle, mais bien d’une rupture : un avant et un après (sans retour possible en arrière).

Avant la crise, nous étions déjà engagés dans un mouvement de transition. Société comme université, nous nous sentions dans un tournant. J’ai commencé mon mandat en parlant d’une université en transition dans un monde en transition. Et notre université, engagée pleinement dans son rôle sociétal, à l’avant-garde de cette transition, à travers les étudiants, notre futur, qui nous tirent vers l’avant avec leurs aspirations fortes pour une transition forte et à travers les chercheurs qui ouvrent les voies de l’innovation et la créativité.

Depuis ce 13 mars, nous sommes dans la rupture.

Dans tous les secteurs de la société, la crise a mis plus encore en lumière les forces et les talents mais également les faiblesses et les fragilités des systèmes.


Une crise, révélatrice de talents

Au sein de l’UNAMUR, comme partout ailleurs, la crise a été révélatrice de bien des talents. Elle a été une formidable opportunité de déployer notre capacité d’innovation, et de revenir aux fondamentaux de la mission universitaire : créer et mobiliser la connaissance, sortir des sentiers battus pour proposer des solutions inédites au service de sa société. 

Chacun a redoublé de créativité, d'engagement, d'agilité, d'adaptation au changement.

J’ai toujours eu une immense foi en la capacité des femmes et des hommes de mon université mais je dois bien avouer que cette crise m’a surpris par l’ampleur des talents révélés.

Les étudiants et enseignants ont déployé des trésors de créativité pour poursuivre leur mission, parfois en la réinventant. Des chercheurs ont apporté des solutions concrètes aux problèmes de société qui ont émergé les uns après les autres. Quelques exemples seront abordés dans les tables rondes qui suivront.

Maintenir nos missions au service de la société, tout en innovant, a exigé, et continue d’exiger, beaucoup d'énergie, énormément d’énergie. Je ne voudrais pas avancer sans remercier, une nouvelle fois, les membres de mon université qui ont fait preuve d'abnégation…. Parfois à la limite de leurs forces.


Une crise, révélatrice de faiblesses

Mais la crise met aussi en évidence, des faiblesses et des fragilités.

 

Les fragilités des institutions publiques comme celles de l’enseignement. Permettez-moi d’en citer quelques-unes qui sont, à mes yeux, autant de leçons à tirer :

 

Une première fragilité que la crise a révélée, c’est le manque cruel de moyens pour ce qui est essentiel, pour ce qui fait sens à l’échelle de la société.

L’enseignement et la recherche, comme la santé, comme le social ne peuvent pas vivre ou continuer à survivre simplement par l’héroïsme des acteurs de terrain. Vous le savez, dans les modèles de management, le niveau considéré comme le plus fragile, c’est-à-dire le moins efficace et le moins durable, est le management dont la réussite est basée sur l’héroïsme individuel. Ceux que l’on qualifie de « pompiers ». Je suis aussi de ceux qui ont applaudi à 20h, chaque soir dans ma rue, le personnel de santé, et j’applaudis aussi les héros de mon université, mais à un moment donné les héros sont fatigués…Et le point de rupture, en ce qui concerne les moyens pour l’essentiel, pour ce qui fait sens, est bien là.

 

L’autre fragilité est la complexité bureaucratique et la grande dispersion des énergies.

Au niveau politique, la crise a très concrètement démontré les limites d’un système complexe avec trop de niveaux de pouvoir, une dispersion des décisions, une dilution des responsabilités, et une absence de hiérarchie claire des normes. Nous avons vu sous nos yeux cette machine décisionnelle complexe peiner à réagir dans l’urgence… alors même que la plupart des acteurs, voire toutes et tous, étaient de bonne volonté.

 

Je reste amer d’une expérience douloureuse avec nos tests Covid. Alors que le laboratoire de test était prêt et opérationnel au premier jour de la crise, alors que la reconnaissance scientifique et sanitaire étaient acquises, nous avons été contraints, par une machine bureaucratique anonyme (anonyme car je ne sais toujours pas aujourd’hui à qui en vouloir) à attendre et attendre pendant des semaines. Contraints de refuser de tester les maisons de repos ou autres institutions locales voisines…

Des semaines précieuses et vitales -au sens propre du mot- sont été perdues.

 

Si je pointe cette fragilité de la complexité politique et bureaucratique c’est, aussi, parce que le monde politique a tendance à vouloir exporter, coûte que coûte, vers l’enseignement supérieur cette logique de complexité en nous imposant des usines à gaz… Des usines à gaz qui ont montré d’une façon flagrante leurs limites, voire leur absurdité lors de cette crise. Tout le monde a en tête les heures de réunion inutiles qu’on a perdu dans des instances qui sont, par la fragmentation, devenues déconnectées de tout sens, et surtout déconnectées du « bon sens ».

Quand je parle de « rupture » je pense à ce genre de situation de blocage bureaucratique ou une pensée en dehors du cadre est aujourd’hui INDISPENSABLE.

 

Enfin, une troisième leçon que cette crise a révélé, est la nécessité absolue de la solidarité et du collectif.

Au niveau de la gestion nationale de la crise, comme au niveau des universités, chaque fois que nous nous sommes montrés solidaires, entre secteurs, entre institutions comme entre individus, nous avons réalisé des avancées incroyables...et rapides. Je peux citer l’exemple de solidarité entre recteurs, l’excellent dialogue entre les recteurs et la ministre, la solidarité en interne entre facultés et services et départements.

Et chaque fois que les égos l’ont emporté nous l’avons payé cher et cash.

Un comportement individuel irresponsable en temps de crise peut avoir des conséquences désastreuses. Il y a aussi urgence à réhabiliter le collectif, à la société comme à l’université.

 

Connaître les faiblesses permet d’avancer. C’est bien ça le défi

Je terminerai par ce simple message pour cette année qui s’ouvre.

Si nous NE voulons PAS que tous les efforts que cette crise a demandé et demandera encore soient vains, nous devons agir et transformer cette crise en opportunité.

 

Nous pouvons décider de tirer avec humilité les leçons de ce que cette crise a révélé de nos forces et de nos faiblesses

 

·         Nous pouvons décider de se recentrer sur l’essentiel de nos missions : se centrer sur ce qui fait sens.

·         Nous pouvons oser remettre en question nos systèmes bureaucratiques complexes et simplifier en osant sortir du cadre

·         Et enfin, et surtout, nous pouvons choisir d’agir solidairement.


Alors, et alors seulement, cette crise sera vraiment une opportunité pour grandir, pour se renouveler, pour devenir meilleur, individuellement et collectivement.

 

 

Naji HABRA, 8 octobre 2020