Comme discipline, l'histoire prospecte le passé humain dans toute sa complexité : populations, économies, techniques, politiques, religions, arts, idéologies, etc.
Au prix d'entretiens oraux, de recherche dans les dépôts d'archives ou les cabinets de manuscrits, dans les bibliothèques ou les musées, sur les sites archéologiques ou dans certains lieux privilégiés où la nature a fixé des souvenirs du passé, l'histoire ambitionne de repérer des traces laissées par les humains. L'objectif est de connaître le milieu dans lequel ils ont vécu. Elle dépiste tous les témoins possibles.
L'histoire emprunte aux sciences humaines questions et méthodes, qui permettent de saisir des corrélations, de déceler des genèses, en un mot, de comprendre l'aventure humaine.
Deux traits de l'histoire valent d'être soulignés. L'histoire relève d'abord de l’enquête ; elle doit en effet commencer par découvrir le matériau multiforme sur lequel elle va travailler, les "documents" du passé. Ensuite, elle porte sur la connaissance du passé dans la durée, parfois dans la très longue durée, et donc analyse des naissances, des mutations, des évolutions.
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35 ans entre deux accélérateurs – Le voyage de Serge Mathot, ou l’art de souder l’histoire à la physique
35 ans entre deux accélérateurs – Le voyage de Serge Mathot, ou l’art de souder l’histoire à la physique
Un pied dans le passé, l’autre dans l’avenir. De la granulation étrusque à l’analyse PIXE, Serge Mathot a construit une carrière unique, entre patrimoine scientifique et accélérateurs de particules. Portrait d’un alumni passionné, à la croisée des disciplines.
Qu’est-ce qui vous a poussé à entreprendre vos études puis votre doctorat en physique ?
J’étais fasciné par le domaine de recherche d’un de mes professeurs, Guy Demortier. Il travaillait sur la caractérisation de bijoux antiques. Il avait trouvé le moyen de différencier par analyse PIXE (Proton Induced X-ray Emission) les brasures antiques et modernes qui contiennent du Cadmium, la présence de cet élément dans les bijoux antiques étant controversée à l’époque. Il s’intéressait aux méthodes de brasage antiques en générale et à la technique de granulation en particulier. Il les étudiait au Laboratoire d’Analyses par Réaction Nucléaires (LARN). Le brasage est une opération d'assemblage qui s'obtient par fusion d'un métal d'apport (par exemple à base de cuivre ou d’argent) sans fusion du métal de base. Ce phénomène permet à un métal liquide de pénétrer d’abord par capillarité et ensuite par diffusion à l’interface des métaux à assembler et de rendre la jonction permanente après solidification. Parmi les bijoux antiques, on trouve des brasures faites avec une incroyable précision, les techniques antiques sont fascinantes.
L’étude de bijoux antiques ? On ne s’attend pas à cela en physique.
En effet, c’était l’un des domaines de recherche de l’époque à Namur : les sciences du patrimoine. Le professeur Demortier menait des études sur différents bijoux mais ceux fabriqués par les Étrusques en utilisant la technique dite de granulation, qui est apparue en Éturie au 8è siècle avant JC, est particulièrement incroyable. Elle consiste à déposer sur la surface à décorer des centaines de granules d'or minuscules pouvant atteindre jusqu'à deux dixièmes de millimètre de diamètre et de les fixer sur le bijou par une brasure sans en altérer la finesse. Je me suis donc ainsi formé aussi aux techniques de brasage et à la métallurgie physique.
La caractérisation des bijoux grâce à l’accélérateur de particules du LARN, qui permet une analyse non destructive, donne des informations précieuses pour les sciences du patrimoine.
C’est d’ailleurs un domaine de collaborations actuel entre le Département de physique et le Département d’histoire de l’UNamur (NDLR: notamment au travers du projet ARC Phoenix).
En quoi cela vous a-t-il permis d’obtenir un poste au CERN ?
J’ai postulé un poste de physicien au CERN dans le domaine du vide et des couches minces mais j’ai été invité pour le poste de responsable du service de brasage sous vide. Ce service est très important pour le CERN car il étudie les méthodes d’assemblage de pièces particulièrement délicates et précises pour les accélérateurs. Il fabrique également des prototypes et souvent des pièces uniques. Grosso modo, le brasage sous vide est la même technique que celle que nous étudions à Namur à part qu’elle s’effectue dans une chambre à vide. Cela permet de ne pas avoir d’oxydation, d’avoir un mouillage parfait des brasures sur les parties à assembler et de contrôler très précisément la température pour obtenir des assemblages très précis (on parle de microns !). Je n’avais jamais entendu parler de brasage sous vide mais mon expérience acquise sur la brasure des Etrusques, la métallurgie et mon cursus en physique appliquée telle qu’elle est enseignée à Namur à particulièrement intéressé le comité de sélection. Ils m’ont engagé tout de suite !
Parlez-nous du CERN et des projets qui vous occupent
Le CERN est principalement connu pour héberger des accélérateurs de particules dont le célèbre LHC (Grand Collisionneur de Hadrons), un accélérateur de 27 km de circonférence, enterré à environ 100 m sous terre, qui accélère les particules à 99,9999991% de la vitesse de la lumière ! Le CERN a plusieurs axes de recherche en technologie et innovation dans de nombreux domaines : la physique nucléaire, les rayons cosmiques et la formation des nuages, la recherche sur l’antimatière, la recherche de phénomènes rares (comme le boson de Higgs) et une contribution à la recherche sur les neutrinos. C’est aussi le berceau du World Wide Web (WWW). Il y a aussi des projets dans la thématique soins de santé, médecine et des partenariats avec l’industrie.
La physique nucléaire du CERN est bien différente de celle qu’on fait à l’UNamur avec l’accélérateur ALTAÏS. Mais ma formation en physique appliquée (namuroise) m’a permis de m’intégrer sans soucis dans différents projets de recherche.
Pour ma part, en plus du développement des méthodes de brasage sous vide, domaine dans lequel j’ai travaillé plus de 20 ans, j’ai beaucoup travaillé en parallèle pour l’expérience CLOUD. Pendant plus de 10 ans et jusque récemment j’en ai été le Coordinateur Technique. CLOUD est une petite mais fascinante expérience au CERN qui étudie la formation des nuages et utilise un faisceau de particules pour reproduire en laboratoire le bombardement atomique à la manière des rayonnements galactiques dans notre atmosphère. A l’aide d’une chambre à nuage ultra propre de 26 m³, de système d’injection de gaz très précis, de champs électriques, de systèmes de lumière UV et de multiples détecteurs, nous reproduisons et étudions l’atmosphère terrestres afin de comprendre si effectivement les rayons galactiques peuvent influencer le climat. Cette expérience fait appelle à différents domaines de physique appliquée et mon parcours à l’UNamur m’a encore bien aidé.
J’ai été aussi responsable pour le CERN du projet MACHINA –Movable Accelerator for Cultural Heritage In situ Non-destructive Analysis – réalisé en collaboration avec l’Istituto Nazionale di Fisica Nucleare (INFN), section de Florence - Italie. Nous avons créé ensemble le premier accélérateur de protons portable pour l’analyse in-situ et non-destructive pour les sciences du patrimoine. MACHINA doit être utilisé prochainement à l’OPD (Opificio delle Pietre Dure), l’un des plus anciens et prestigieux centres de restauration d’œuvres d’art situé également à Florence. L’accélérateur est destiné à voyager aussi dans d’autres musées ou centres de restauration.
Actuellement, je m’occupe du projet ELISA (Experimental LInac for Surface Analysis). Avec ELISA, nous faisons fonctionner un véritable accélérateur de protons pour la première fois dans un lieu ouvert au public : le Portail de la Science (SGW – Science Gateway), le nouveau centre d'exposition permanent du CERN.
ELISA utilise la même cavité accélératrice que MACHINA. Le public peut observer un faisceau de protons extrait à quelques centimètres de leurs yeux. Des démonstrations sont organisées pour montrer différents phénomènes physiques, tels que la production de lumière dans les gaz ou la déviation du faisceau avec des dipôles ou des quadrupôles par exemple. La méthode d'analyse PIXE est également présentée. ELISA est aussi un accélérateur performant que nous utilisons pour des projets de recherche dans le domaine du patrimoine et d’autres comme les couches minces qui sont beaucoup utilisées au CERN. La particularité est que les scientifiques qui viennent travailler avec nous le font devant le public !
Une anecdote à raconter ?
Je me souviens qu’en 1989, je finissais de taper la veille de l’échéance et en pleine nuit mon rapport pour ma bourse IRSIA. Le dossier devait être remis le lendemain à minuit au plus tard. Il n’y avait que très peu d’ordinateurs à l’époque et j’ai donc tapé mon rapport en dernière minute sur le Mac d’une des secrétaires. Une fausse manœuvre et paf ! toutes mes données avaient disparu, grosse panique !!! Le lendemain, la secrétaire m’a aidé à restaurer mon fichier, nous avons imprimé le document et je suis allé le déposer directement dans la boîte aux lettres à Bruxelles, où je suis arrivé après 23h, in extremis, car à minuit, quelqu’un venait fermer la boîte aux lettres. Heureusement, la technologie bien a évolué depuis...
Et je ne résiste pas à vous partager deux images que 35 ans séparent !
A gauche, une statuette en Or (Egypte), env. 2000 ans av.J.C, analysée au LARN - UNamur (photo 1990) et à droite, copie (en Laiton) de la Dame de Brassempouy, analysée avec ELISA - CERN (2025).
Le « photographe » est le même, la boucle est bouclée…
La proximité entre enseignement et recherche inspire et questionne. Cela permet aux étudiants diplômés de s’orienter dans de multiples domaines de la vie active.
Venez-faire vos études à Namur !
Serge Mathot (mai 2025) - Interview par Karin Derochette
Pour aller plus loin
- Le complexe d’accélérateurs du CERN
- Le Portail de la science, centre d’éducation et de communication grand public du CERN
- Newsroom - juin 2025 | Le Département de physique reçoit une délégation du CERN
- Nnewsroom et article Omalius Alumni - septembre 2022 | : François Briard
CERN - le portail de la science
Cet article est tiré de la rubrique "Alumni" du magazine Omalius #38 (Septembre 2025).
Le rôle des femmes dans la Résistance, une mémoire à reconquérir
Le rôle des femmes dans la Résistance, une mémoire à reconquérir
Le 8 avril dernier, le centre de recherche Histoire, Sons et Images (HiSI, membre de l’Institut Patrimoines, Transmissions et Héritages - PaTHs) organisait, en collaboration avec l’association « Coalition 8 mai », un colloque sur le thème des rapports entre femmes et extrême droite. Bénédicte Rochet et Axel Tixhon, professeurs au Département d’histoire, ont exploré cette thématique sous l’angle des résistantes actives lors de la guerre 40-45. Leur démarche s’inscrit pleinement dans la vision du centre de recherche qui étudie les documents audio et/ou visuels en tant que sources historiques, mais aussi l’histoire en tant que mode de compréhension du présent.
Cet article est tiré de la rubrique "Experts" du magazine Omalius de juillet 2025.
Comment les femmes ont-elles intégré les mouvements de résistance durant la guerre 40-45 ?
Axel Tixhon : On retrouve les femmes dans les réseaux de résistance qui cachent des enfants juifs, des soldats et aviateurs alliés ou encore des opposants politiques. Ces personnes étaient souvent hébergées temporairement avant d’être exfiltrées par des filières d’évasion depuis les territoires occupés vers l’Espagne, puis la Grande-Bretagne. Les réseaux de cache s’appuyaient sur les petites cellules familiales, hermétiques vis-à-vis de l’extérieur, mais très ouvertes à l’intérieur. Forcément quand une famille accueillait quelqu’un sous son toit, tous ses membres, et particulièrement les femmes, participaient. Leur engagement s’inscrit donc dans le prolongement du rôle traditionnel qu’elles jouaient à cette époque.
On observe également des profils de femmes émancipées. Par exemple, Louise-Marie Danhaive, connue pour ses activités littéraires avant la guerre, va s’engager dans la presse clandestine. Elle va donc sortir du rôle traditionnel de la femme. On retrouve aussi des personnalités moins connues, comme Juliette Bernard. Investie dans un groupe folklorique à Fosses-la-Ville avant la guerre, elle va entrer dans la résistance, essentiellement dans le secteur du renseignement et de l’aide aux partisans du Parti communiste.
Même si c’est assez rare, certaines femmes ont aussi pris les armes comme Madeleine Tasset (Andenne), dont on a retrouvé une photo qui la montre manipuler une mitrailleuse et porter la tenue de l’armée secrète.
Les résistantes ont souvent été invisibilisées, comment l’expliquer ?
Bénédicte Rochet : Il y a d’abord des facteurs qui sont propres à l’histoire de la résistance et de la politique belges. Au lendemain de la 2e guerre mondiale, le gouvernement doit gérer des milliers de résistants dont certains sont armés tandis que d’autres font partie du Front de l’indépendance, réseau majoritairement communiste dont l’importance fait craindre une révolution dans notre pays. Churchill et Roosevelt vont alors inciter le gouvernement belge à reprendre les rênes du pouvoir et à maintenir l’ordre en s’appuyant sur les forces de police officielles et l’armée belge. Dans ce contexte, la résistance va être dénigrée et surtout désarmée.
Dès novembre 1944, les résistants vont manifester pour obtenir une reconnaissance de leur statut. Ces manifestations vont être mises sous le boisseau par le gouvernement et même par la presse. Aujourd’hui encore, les commémorations mettent surtout à l’honneur l’armée. Et, lorsqu’on évoque la résistance, on rend hommage à ceux qui sont morts durant la guerre.
Beaucoup de femmes ne vont par ailleurs pas demander une reconnaissance de statut parce qu’elles ne se retrouvent pas dans la connotation militaire qui y est associée à l’époque. En outre, comme elles entraient souvent en résistance avec l’ensemble de la cellule familiale, c’était le père de famille qui allait déposer le dossier de reconnaissance. Tout cela a participé à l’invisibilisation des résistantes.
A.T. : Lors du colloque, Ellen De Soete, fondatrice de la Coalition 8 mai, a livré un témoignage très touchant. Elle a expliqué comment sa mère, résistante arrêtée et torturée, a bâti toute sa vie sur le silence. Son supplice avait été la conséquence du fait que d’autres avaient parlé. Il était donc essentiel pour elle de se taire afin de ne pas mettre ses enfants en danger. S’ils savaient, ils risquaient peut-être à leur tour d’être torturés. Ce n’est qu’à la fin de sa vie qu’elle a libéré sa parole. Ellen De Soete a expliqué que, enfant, leur mère leur interdisait de sortir ou d’inviter des amis à la maison. Les cicatrices provoquées par la guerre ont donc bien souvent débordé des individus eux-mêmes pour avoir un impact sur l’ensemble de la famille, y compris sur les générations suivantes. C’est donc aussi cette culture du silence qui a participé à l’invisibilité des femmes résistantes.
B.R. : À partir des années 60-70, il y a un basculement avec les gender studies. Les études vont, dans un premier temps, se concentrer sur les femmes au travail et les droits des femmes, mais pas du tout sur leur rôle dans les contextes de guerre. Ce n’est donc qu’à la fin des années 90 et au début des années 2000 que l’histoire s’intéresse aux femmes résistantes durant la guerre 40-45.
Lors du colloque, vous avez aussi abordé les rapports entre l’extrême droite actuelle et la question du genre. Les droits des femmes sont souvent mis à mal par les partis d’extrême droite, et pourtant, en France, en Italie, en Allemagne, les grandes figures de ces partis sont des femmes. Comment peut-on expliquer cette contradiction ?
A.T. : Il est difficile de répondre tant cela semble effectivement peu logique. Cela ressemble plus à une posture opportuniste qu’à une volonté de rendre les genres égaux dans la société. La présence de femmes à la tête des mouvements d’extrême droite en Europe est un moyen de déradicaliser le discours. On sait également que, dans la communication politique de l’extrême droite, on n’est pas à un paradoxe près. D’une certaine manière, ces partis aiment jouer la rupture entre ce qui est attendu de figures politiques et ce qu’elles disent ou font. Donc, une femme qui tient un discours à la limite masculiniste est acceptable dans ces partis, alors que cela ne le serait pas dans un parti traditionnel.
B.R. : Les politologues qui ont participé au colloque ont aussi apporté un élément de réponse qui rejoint et complète l’histoire. Dans leur programme, ces partis affirment défendre le droit au sentiment de sécurité des femmes. Ils leur disent : vous avez de la chance, vous êtes libres et vivez dans un contexte de liberté d’expression, mais il vous manque la sécurité physique. Et qui met cette sécurité en danger ? Ce sont ces migrants, ces étrangers qui violent nos femmes et qui sont désignés comme l’ennemi commun. Ce discours sécuritaire peut toucher certaines femmes. Celles qui ont adhéré au parti nazi dès les années 30, l’ont fait dans l’idée de vivre dans une société sécurisée à l’abri de la violence des communistes, des juifs, etc.
Le nazisme s’appuyait-il aussi sur de grandes figures féminines ?
B.R. : On a seulement commencé à s’intéresser aux femmes du Troisième Reich dans les années 90. Les femmes ont souvent joué un rôle en tant qu’épouses. On pense par exemple à Magda Goebbels, épouse du ministre de la propagande, Joseph Goebbels, ou à Emmy Sonnemann, épouse de Hermann Göring. Ces femmes ont joué un rôle de réseautage et de soutien du régime, en organisant, par exemple, des dîners et réceptions. Le récent film de Jonathan Glazer, « La Zone d’intérêt », illustre bien ce rôle des femmes. Il met en scène le cadre familial du commandant du camp d’Auschwitz. Il montre comment son épouse instaure un climat familial accueillant et joue donc un rôle important de soutien à son mari, alors qu’elle sait ce qui se passe dans le camp situé de l’autre côté du mur de son jardin.
À côté des épouses, plus de 500 000 femmes se sont engagées pour le troisième Reich, comme gardiennes dans les camps, infirmières, etc. Et puis, quelques personnalités n’ont pas agi en tant qu’épouse. Leni Riefenstahl, par exemple, a réalisé des films documentaires qui ont soutenu le parti.
A.T. : Et ce sont sans doute les films les plus efficaces de la propagande nazie !
Le programme du parti nazi en ce qui concerne les femmes a évolué au fil des années. Dans les années 30, il s’agit de mettre les femmes en sécurité. Dans les années 40, le rôle de la femme est de produire des bébés pour soutenir la race aryenne. Et puis, en 43, alors que les nazis constatent qu’ils sont en train de perdre la guerre, le curseur bouge encore : les femmes sont alors engagées dans l’industrie de guerre.
Le travail de mémoire auprès du grand public porte souvent sur les conséquences du nazisme, moins sur les mécanismes et les discours qui ont permis aux nazis de prendre le pouvoir. Les méthodes et la rhétorique de l’époque sont-elles similaires à celles de l’extrême droite actuelle ?
A.T. : Oui, par exemple dans la recherche du bouc émissaire et le développement des peurs. Lors du colloque, les politologues parlaient de « paniques morales ». Aujourd’hui, l’extrême droite insiste, par exemple, sur le déclin des valeurs morales, en pointant du doigt les personnes transgenres ou les personnes aux préférences sexuelles différentes. Elle va insister sur la nécessité de transformer le modèle social pour revenir à un traditionnel, tout en faisant peur. L’instrumentalisation des peurs est le fondement de la stratégie électorale des partis d’extrême droite, soit en accentuant les craintes qui existent, soit en les faisant littéralement naître.
On sait que l’antisémitisme existait au préalable, mais les nazis lui ont accolé de nombreux discours violents et déshumanisants, pour justifier l’extermination des juifs. La violence était, dès lors, justifiée par le fait que les populations juives, gitanes, homosexuelles, étaient dangereuses.
On retrouve aujourd’hui le même schéma dans certains discours agressifs qui proviennent de groupuscules d’extrême droite ou, plus généralement, de groupuscules extrémistes. Ces discours pourraient amener certains à justifier des violences semblables à celles de la guerre 40-45 envers ces soi-disant menaces pour la société.
B.R. : La rhétorique est également similaire. Aussi bien dans le parti nazi que dans les partis d’extrême droite actuels, on est face à des tribuns qui, comme Hitler ou Goebbels, aiment les monologues. Ils tiennent des discours qui assènent des vérités et qui créent une panique morale. Par contre, tous ces tribuns sont en difficulté lorsqu’ils doivent débattre d’idées.
C’est un peu la même chose aujourd’hui. Dans un débat contradictoire, Donald Trump va par exemple aller au conflit, comme il l’a fait avec le Président Zelenski. Göring, Hitler, Goebbels faisaient exactement la même chose. On a retrouvé des archives sonores du procès de l’incendie du Reichstag dans lesquels on entend Göring sortir complètement de ses gonds lorsqu’il est mis en contradiction avec un des accusés ou un des avocats.
Ces similitudes doivent donc nous alerter sur les dangers de l’extrême droite actuelle ?
A.T. : Oui. C’est l’objectif de « Coalition 8 mai », créée par Ellen De Soete qui a pris conscience que, lors des commémorations, on perpétue les mêmes gestes, mais on en a souvent perdu le sens. Il y a pourtant aujourd’hui des raisons de craindre qu’on débouche sur des horreurs semblables à celles commises en 40-45. L’association veut sensibiliser le public à ce danger. C’est pourquoi elle a proposé au Département d’histoire d’organiser ce colloque.
« 1000 Résistantes ! 1940-1945. Des femmes dans la Résistance en Province de Namur. »
À travers cette publication, le lecteur découvre les réseaux de résistance actifs en Province de Namur au sein desquels de nombreuses Namuroises se sont engagées durant la guerre 40-45. Le carnet présente également une liste de 1000 résistantes namuroises et les portraits de 15 d’entre elles réalisés par les étudiants du bloc 2 en histoire.
Le projet a été initié par le Service des Musées et du Patrimoine culturel de la Province de Namur (SMPC) dirigé par Mélodie Brassine, alumnus du Département d’histoire, en collaboration avec le professeur Axel Tixhon. Au départ l’idée était de trouver une résistante pour chacune des 38 communes que compte la Province, mais le SMPC a pu, grâce à ses recherches, dresser une liste de 1000 noms. « Il y a donc un potentiel de recherche incroyable sur les résistantes en Province de Namur et ailleurs. Dans les différentes communes, il y a matière à creuser. Cela peut être une occasion pour les pouvoirs locaux de mettre en valeur certains profils à travers toute une série de démarches. Le travail de recherche pourrait être réalisé par des groupes d’action locale, des écoles secondaires, voire par des élèves de 6e primaire », suggère Axel Tixhon.
Cet article est tiré de la rubrique "Experts" du magazine Omalius #37 (Juillet 2025).
Copyrights (par ordre d'apparition) :
- Louise-Marie Danhaive
- Imprimerie clandestine à Liège, 1944 – © Cegesoma
- Madeleine Tasset – copyright : © Collection M. Tasset, Bibliotheca Andana
- Irma Caldow à Solre-sur-Sambre vers 1943-1944 – © Cegesoma
- Le baiser du GI septembre 1944 – © Cegesoma
Fonds de Bergeyck : des documents rares étudiés par le centre PraME
Fonds de Bergeyck : des documents rares étudiés par le centre PraME
C’est dans le cadre d’un projet de recherche portant sur le patrimoine médiéval conservé à la Bibliothèque Universitaire Moretus Plantin (BUMP) que le fonds d’archives qui lui a été confié par la famille de Brouchoven de Bergeyck a fait l’objet d’une étude minutieuse de la part de l’historien Romain Waroquier. Ce fonds revêt un intérêt historique et scientifique indéniable : jusqu’ici inconnu des chercheurs, il recueille des documents d’une extrême rareté.
Romain Waroquier est docteur en Histoire et chercheur postdoctorant au sein du centre de recherche Pratiques médiévales de l’écrit (PraME) de l’UNamur. Depuis 2024, et grâce au mécénat de la fondation d’utilité publique Institut Moretus Plantin, il a inventorié, identifié et analysé chacun des 214 documents qui composent le fonds d’archives mis en dépôt à la BUMP par le comte René de Brouchoven de Bergeyck de Namur d’Elzée, dont les ancêtres furent comtes de Namur (avant 1421) et seigneurs de Dhuy (commune actuelle d’Éghezée).
L’ensemble est exceptionnel pour deux raisons : d’abord, sa profondeur chronologique, qui pénètre jusqu’au cœur du Moyen Âge. Le plus ancien document date de 1263 ; or, il est très rare que des fonds d’archives nobiliaires aient survécu à travers les siècles et notamment à la Révolution française, qui a occasionné de nombreuses destructions de documents rappelant le passé féodal de nos régions. Le fonds est remarquable, ensuite, en raison de sa cohérence : il illustre, de manière inédite, l’histoire de la seigneurie de Dhuy, de son château (représenté ci-dessus vers 1828) et de ses dépendances. Cette seigneurie s’est transmise, sans discontinuité, au sein de la même famille depuis le début du 15e siècle
Un livre foncier unique en province de Namur
En mettant en dépôt à la BUMP une partie de ses archives, le comte de Brouchoven de Bergeyck a posé un geste important vis-à-vis du monde scientifique, qui pourra désormais les exploiter et mettre en lumière certains aspects de l’histoire seigneuriale du Namurois au Moyen Âge.
« La charte de 1263 (voir image ci-contre), qui relate la donation de la seigneurie hautaine (le droit du seigneur sur les personnes et les biens relevant de sa juridiction, NDLR) par le comte de Namur à Libert de Dhuy, n’avait été transmise qu’au travers de copies. Nous avons désormais accès à l’original au sein du fonds de Bergeyck », s’enthousiasme Romain Waroquier.
« À côté d’une vingtaine de chartes documentant la transmission intrafamiliale de la seigneurie (1263-1490), la pièce maîtresse du fonds réside dans un livre ou polyptique foncier, un document de gestion dans lequel sont consignées les descriptions des terres constituant la seigneurie de Dhuy. Ce manuscrit a connu deux phases de rédaction, la principale en 1417 et la deuxième sans doute vers 1489 », poursuit le médiéviste. « On rencontre habituellement ce type de document dans le cas des grands domaines ecclésiastiques ». Dans le cadre d’une seigneurie laïque, ce polyptique ne connaît qu’un seul équivalent comparable dans l’espace mosan, le censier de la seigneurie de Jauche, daté de 1444 et étudié par l’historien Georges Despy. Il s’agit donc d’un document unique en province de Namur, mais également rarissime à une échelle plus large.
Une seigneurie au statut particulier
« La raison d’être du document interpelle : ce n’est pas un censier, car la description de la seigneurie ne se fait pas sur base du cens (redevance payée au seigneur par les tenanciers d’une terre, NDLR). Il ne s’agit donc pas d’une raison fiscale. Et l’historien de livrer son hypothèse quant à l’origine du manuscrit : « les possessions constituant la seigneurie de Dhuy sont réunies à la fin du 14e siècle par Jean de Namur, le fils cadet du comte de Namur Guillaume Ier. La seigneurie de Dhuy est sa possession personnelle, sur laquelle il a racheté tous les droits et biens entre 1390 et 1392, alors qu’il était seigneur de Wienendaele et de Renaix, et non destiné à régner. Lorsqu’il accède à la tête du comté en 1418, après le décès de son frère Guillaume II, sans héritier, il fait probablement inventorier les biens de sa seigneurie personnelle afin d’éviter qu’elle se confonde avec celle du domaine comtal ». On constate en effet que, lors de la cession du comté de Namur au duc de Bourgogne Philippe le Bon, en 1421, la seigneurie de Dhuy est exclue de la vente. « Cela est clairement stipulé dans l’acte de vente du comté. La seigneurie est cédée par Jean de Namur en apanage (portion de domaine accordée par le seigneur, en compensation, à un enfant exclu de la succession du titre, NDLR), à son fils naturel Philippe. Elle est écartée de la vente car elle était la possession de Jean avant qu’il ne devienne comte », conclut Romain Waroquier.
Un inventaire et des publications pour faire connaître le Fonds de Bergeyck
L’inventaire scientifique réalisé par le chercheur sera publié prochainement aux Presses Universitaires de Namur. Il donnera ainsi un aperçu détaillé de la partie médiévale du fonds, mais également de ses portions modernes et contemporaines, qui sont principalement constituées de testaments et de conventions de mariage (16e-17e siècles), de documents personnels ainsi que d’un beau dossier épistolaire datant de la période napoléonienne : « Il s’agit d’une vingtaine de lettres échangées entre le comte et son fils, engagé dans l’armée de l’Empire et qui va décéder durant la guerre d’indépendance d’Espagne (un conflit qui a opposé l'Espagne et ses alliés à la France de Napoléon Ier entre 1808 et 1814, NDLR) ». Plusieurs articles scientifiques suivront, dont l’édition critique et la remise en contexte du fameux livre foncier évoqué plus haut. Les chartes médiévales seront également numérisées tout prochainement et rendues accessibles au public sur le portail Neptun de la bibliothèque universitaire namuroise.
Le centre de recherche Pratiques médiévales de l’écrit (PraME)
Fondé en 2009, le centre PraME réunit une vingtaine de chercheuses et de chercheurs qui consacrent leurs travaux aux écrits et aux multiples facettes de l’activité d’écriture dans l’Occident médiéval. Il bénéficie d’une reconnaissance en Belgique et à l’international et noue de nombreuses collaborations interdisciplinaires au sein du monde académique et en dehors (dépôts d’archives, bibliothèques, musées, sociétés savantes…), dans le cadre de projets de recherche et de médiation scientifique. Le centre PraME est un pôle de l’institut de recherche PaTHs de l’UNamur.
Ce projet de recherche bénéficie du soutien de la fondation d’utilité publique Institut Moretus Plantin.
Cet article a été publié dans la newsletter du Fond Namur Université.
Axel Tixhon, garant scientifique d’un projet historique en réalité augmentée
Axel Tixhon, garant scientifique d’un projet historique en réalité augmentée
C’est une première en Wallonie ! La Citadelle de Dinant propose désormais une visite en réalité augmentée qui plonge les visiteurs au cœur de son histoire. À la manœuvre : la société française Histovery, spécialisée dans les reconstitutions patrimoniales, avec le soutien scientifique d’Axel Tixhon, professeur au Département d’histoire de l’UNamur.
Sur la photo : Édouard Lecanuet, assistant de production chez Histovery, la ministre Valérie Lescrenier en charge du Tourisme et du patrimoine, Marc de Villenfagne, administrateur délégué de la Citadelle de Dinant, et Axel Tixhon, professeur au Département d’histoire de l’UNamur, inaugurent l’HistoPad, outil de reconstitution 3D de l’histoire de la Citadelle de Dinant. Un projet validé scientifiquement par Axel Tixhon.
Grâce à une tablette interactive baptisée HistoPad, le public explore les lieux comme jamais auparavant. En différents points du parcours, les visiteurs découvrent des scènes historiques reconstituées en 3D, appuyées par une documentation rigoureuse et une reproduction fidèle des décors, costumes et objets d’époque.
Trois périodes clés ont été retenues pour cette immersion :
- 1821, époque hollandaise et construction du fort
- 1832, période belge durant laquelle la Citadelle devient prison militaire
- 1914, lors de la Première Guerre mondiale, le site est le théâtre d’affrontements
La rigueur historique au service de l’innovation
Le professeur Tixhon a accompagné toutes les étapes du projet, en tant que membre du comité scientifique. Il a dans un premier temps mis en exergue les événements intéressants d’un point de vue historique et les traces encore visibles aujourd’hui, comme des pièces d’artillerie, une ancienne cuisine ou une boulangerie. Il a également fourni à Histovery une documentation pertinente et fiable.
Une reconstitution historique fidèle, jusqu’au moindre détail
Son expertise a permis d’évaluer la justesse historique des reconstitutions.
Ils m’ont demandé de valider des détails, comme les uniformes de l’armée hollandaise ou le maniement des armes », explique-t-il. « Il fallait aussi éviter les anachronismes. L’équipe d’Histovery avait par exemple affiché un portrait du roi Léopold Ier qui datait de 1850 dans le bureau d’un commandant du fort en 1832. Ils avaient également exposé les blasons actuels des 9 provinces belges qui ne correspondaient pas aux blasons de l’époque. Il a donc fallu trouver le bon portrait et les bons blasons.
L’invisible recomposé grâce aux archives
Certains lieux ont aussi été recréés virtuellement à partir de sources iconographiques anciennes, comme un ingénieux mécanisme en bois qui permettait autrefois d’acheminer l’eau de la Meuse jusqu’à la forteresse.
Histovery, déjà connue pour ses réalisations au château de Chambord, au Palais de papes à Avignon ou encore au Fort Alamo aux États-Unis, signe ici une première wallonne, mêlant patrimoine, innovation et rigueur scientifique. Une réussite qui démontre, une fois de plus, la pertinence du dialogue entre les experts de l’Université de Namur et les acteurs socio-économiques et culturels.
L'institut Patrimoines, transmissions, héritages (PaTHs)
L’institut Patrimoines, Transmissions, Héritages (PaTHs) est une fédération de centres et de groupes de recherche qui ont vu le jour dans et autour de la Faculté de philosophie et lettres. Plusieurs pôles de recherche composent cet institut. Axel Tixhon est membre du pôle HISI (Histoire, sons, images).
Le Département d'histoire de l'UNamur
Comme discipline, l'histoire prospecte le passé humain dans toute sa complexité : populations, économies, techniques, politiques, religions, arts, idéologies, etc.
35 ans entre deux accélérateurs – Le voyage de Serge Mathot, ou l’art de souder l’histoire à la physique
35 ans entre deux accélérateurs – Le voyage de Serge Mathot, ou l’art de souder l’histoire à la physique
Un pied dans le passé, l’autre dans l’avenir. De la granulation étrusque à l’analyse PIXE, Serge Mathot a construit une carrière unique, entre patrimoine scientifique et accélérateurs de particules. Portrait d’un alumni passionné, à la croisée des disciplines.
Qu’est-ce qui vous a poussé à entreprendre vos études puis votre doctorat en physique ?
J’étais fasciné par le domaine de recherche d’un de mes professeurs, Guy Demortier. Il travaillait sur la caractérisation de bijoux antiques. Il avait trouvé le moyen de différencier par analyse PIXE (Proton Induced X-ray Emission) les brasures antiques et modernes qui contiennent du Cadmium, la présence de cet élément dans les bijoux antiques étant controversée à l’époque. Il s’intéressait aux méthodes de brasage antiques en générale et à la technique de granulation en particulier. Il les étudiait au Laboratoire d’Analyses par Réaction Nucléaires (LARN). Le brasage est une opération d'assemblage qui s'obtient par fusion d'un métal d'apport (par exemple à base de cuivre ou d’argent) sans fusion du métal de base. Ce phénomène permet à un métal liquide de pénétrer d’abord par capillarité et ensuite par diffusion à l’interface des métaux à assembler et de rendre la jonction permanente après solidification. Parmi les bijoux antiques, on trouve des brasures faites avec une incroyable précision, les techniques antiques sont fascinantes.
L’étude de bijoux antiques ? On ne s’attend pas à cela en physique.
En effet, c’était l’un des domaines de recherche de l’époque à Namur : les sciences du patrimoine. Le professeur Demortier menait des études sur différents bijoux mais ceux fabriqués par les Étrusques en utilisant la technique dite de granulation, qui est apparue en Éturie au 8è siècle avant JC, est particulièrement incroyable. Elle consiste à déposer sur la surface à décorer des centaines de granules d'or minuscules pouvant atteindre jusqu'à deux dixièmes de millimètre de diamètre et de les fixer sur le bijou par une brasure sans en altérer la finesse. Je me suis donc ainsi formé aussi aux techniques de brasage et à la métallurgie physique.
La caractérisation des bijoux grâce à l’accélérateur de particules du LARN, qui permet une analyse non destructive, donne des informations précieuses pour les sciences du patrimoine.
C’est d’ailleurs un domaine de collaborations actuel entre le Département de physique et le Département d’histoire de l’UNamur (NDLR: notamment au travers du projet ARC Phoenix).
En quoi cela vous a-t-il permis d’obtenir un poste au CERN ?
J’ai postulé un poste de physicien au CERN dans le domaine du vide et des couches minces mais j’ai été invité pour le poste de responsable du service de brasage sous vide. Ce service est très important pour le CERN car il étudie les méthodes d’assemblage de pièces particulièrement délicates et précises pour les accélérateurs. Il fabrique également des prototypes et souvent des pièces uniques. Grosso modo, le brasage sous vide est la même technique que celle que nous étudions à Namur à part qu’elle s’effectue dans une chambre à vide. Cela permet de ne pas avoir d’oxydation, d’avoir un mouillage parfait des brasures sur les parties à assembler et de contrôler très précisément la température pour obtenir des assemblages très précis (on parle de microns !). Je n’avais jamais entendu parler de brasage sous vide mais mon expérience acquise sur la brasure des Etrusques, la métallurgie et mon cursus en physique appliquée telle qu’elle est enseignée à Namur à particulièrement intéressé le comité de sélection. Ils m’ont engagé tout de suite !
Parlez-nous du CERN et des projets qui vous occupent
Le CERN est principalement connu pour héberger des accélérateurs de particules dont le célèbre LHC (Grand Collisionneur de Hadrons), un accélérateur de 27 km de circonférence, enterré à environ 100 m sous terre, qui accélère les particules à 99,9999991% de la vitesse de la lumière ! Le CERN a plusieurs axes de recherche en technologie et innovation dans de nombreux domaines : la physique nucléaire, les rayons cosmiques et la formation des nuages, la recherche sur l’antimatière, la recherche de phénomènes rares (comme le boson de Higgs) et une contribution à la recherche sur les neutrinos. C’est aussi le berceau du World Wide Web (WWW). Il y a aussi des projets dans la thématique soins de santé, médecine et des partenariats avec l’industrie.
La physique nucléaire du CERN est bien différente de celle qu’on fait à l’UNamur avec l’accélérateur ALTAÏS. Mais ma formation en physique appliquée (namuroise) m’a permis de m’intégrer sans soucis dans différents projets de recherche.
Pour ma part, en plus du développement des méthodes de brasage sous vide, domaine dans lequel j’ai travaillé plus de 20 ans, j’ai beaucoup travaillé en parallèle pour l’expérience CLOUD. Pendant plus de 10 ans et jusque récemment j’en ai été le Coordinateur Technique. CLOUD est une petite mais fascinante expérience au CERN qui étudie la formation des nuages et utilise un faisceau de particules pour reproduire en laboratoire le bombardement atomique à la manière des rayonnements galactiques dans notre atmosphère. A l’aide d’une chambre à nuage ultra propre de 26 m³, de système d’injection de gaz très précis, de champs électriques, de systèmes de lumière UV et de multiples détecteurs, nous reproduisons et étudions l’atmosphère terrestres afin de comprendre si effectivement les rayons galactiques peuvent influencer le climat. Cette expérience fait appelle à différents domaines de physique appliquée et mon parcours à l’UNamur m’a encore bien aidé.
J’ai été aussi responsable pour le CERN du projet MACHINA –Movable Accelerator for Cultural Heritage In situ Non-destructive Analysis – réalisé en collaboration avec l’Istituto Nazionale di Fisica Nucleare (INFN), section de Florence - Italie. Nous avons créé ensemble le premier accélérateur de protons portable pour l’analyse in-situ et non-destructive pour les sciences du patrimoine. MACHINA doit être utilisé prochainement à l’OPD (Opificio delle Pietre Dure), l’un des plus anciens et prestigieux centres de restauration d’œuvres d’art situé également à Florence. L’accélérateur est destiné à voyager aussi dans d’autres musées ou centres de restauration.
Actuellement, je m’occupe du projet ELISA (Experimental LInac for Surface Analysis). Avec ELISA, nous faisons fonctionner un véritable accélérateur de protons pour la première fois dans un lieu ouvert au public : le Portail de la Science (SGW – Science Gateway), le nouveau centre d'exposition permanent du CERN.
ELISA utilise la même cavité accélératrice que MACHINA. Le public peut observer un faisceau de protons extrait à quelques centimètres de leurs yeux. Des démonstrations sont organisées pour montrer différents phénomènes physiques, tels que la production de lumière dans les gaz ou la déviation du faisceau avec des dipôles ou des quadrupôles par exemple. La méthode d'analyse PIXE est également présentée. ELISA est aussi un accélérateur performant que nous utilisons pour des projets de recherche dans le domaine du patrimoine et d’autres comme les couches minces qui sont beaucoup utilisées au CERN. La particularité est que les scientifiques qui viennent travailler avec nous le font devant le public !
Une anecdote à raconter ?
Je me souviens qu’en 1989, je finissais de taper la veille de l’échéance et en pleine nuit mon rapport pour ma bourse IRSIA. Le dossier devait être remis le lendemain à minuit au plus tard. Il n’y avait que très peu d’ordinateurs à l’époque et j’ai donc tapé mon rapport en dernière minute sur le Mac d’une des secrétaires. Une fausse manœuvre et paf ! toutes mes données avaient disparu, grosse panique !!! Le lendemain, la secrétaire m’a aidé à restaurer mon fichier, nous avons imprimé le document et je suis allé le déposer directement dans la boîte aux lettres à Bruxelles, où je suis arrivé après 23h, in extremis, car à minuit, quelqu’un venait fermer la boîte aux lettres. Heureusement, la technologie bien a évolué depuis...
Et je ne résiste pas à vous partager deux images que 35 ans séparent !
A gauche, une statuette en Or (Egypte), env. 2000 ans av.J.C, analysée au LARN - UNamur (photo 1990) et à droite, copie (en Laiton) de la Dame de Brassempouy, analysée avec ELISA - CERN (2025).
Le « photographe » est le même, la boucle est bouclée…
La proximité entre enseignement et recherche inspire et questionne. Cela permet aux étudiants diplômés de s’orienter dans de multiples domaines de la vie active.
Venez-faire vos études à Namur !
Serge Mathot (mai 2025) - Interview par Karin Derochette
Pour aller plus loin
- Le complexe d’accélérateurs du CERN
- Le Portail de la science, centre d’éducation et de communication grand public du CERN
- Newsroom - juin 2025 | Le Département de physique reçoit une délégation du CERN
- Nnewsroom et article Omalius Alumni - septembre 2022 | : François Briard
CERN - le portail de la science
Cet article est tiré de la rubrique "Alumni" du magazine Omalius #38 (Septembre 2025).
Le rôle des femmes dans la Résistance, une mémoire à reconquérir
Le rôle des femmes dans la Résistance, une mémoire à reconquérir
Le 8 avril dernier, le centre de recherche Histoire, Sons et Images (HiSI, membre de l’Institut Patrimoines, Transmissions et Héritages - PaTHs) organisait, en collaboration avec l’association « Coalition 8 mai », un colloque sur le thème des rapports entre femmes et extrême droite. Bénédicte Rochet et Axel Tixhon, professeurs au Département d’histoire, ont exploré cette thématique sous l’angle des résistantes actives lors de la guerre 40-45. Leur démarche s’inscrit pleinement dans la vision du centre de recherche qui étudie les documents audio et/ou visuels en tant que sources historiques, mais aussi l’histoire en tant que mode de compréhension du présent.
Cet article est tiré de la rubrique "Experts" du magazine Omalius de juillet 2025.
Comment les femmes ont-elles intégré les mouvements de résistance durant la guerre 40-45 ?
Axel Tixhon : On retrouve les femmes dans les réseaux de résistance qui cachent des enfants juifs, des soldats et aviateurs alliés ou encore des opposants politiques. Ces personnes étaient souvent hébergées temporairement avant d’être exfiltrées par des filières d’évasion depuis les territoires occupés vers l’Espagne, puis la Grande-Bretagne. Les réseaux de cache s’appuyaient sur les petites cellules familiales, hermétiques vis-à-vis de l’extérieur, mais très ouvertes à l’intérieur. Forcément quand une famille accueillait quelqu’un sous son toit, tous ses membres, et particulièrement les femmes, participaient. Leur engagement s’inscrit donc dans le prolongement du rôle traditionnel qu’elles jouaient à cette époque.
On observe également des profils de femmes émancipées. Par exemple, Louise-Marie Danhaive, connue pour ses activités littéraires avant la guerre, va s’engager dans la presse clandestine. Elle va donc sortir du rôle traditionnel de la femme. On retrouve aussi des personnalités moins connues, comme Juliette Bernard. Investie dans un groupe folklorique à Fosses-la-Ville avant la guerre, elle va entrer dans la résistance, essentiellement dans le secteur du renseignement et de l’aide aux partisans du Parti communiste.
Même si c’est assez rare, certaines femmes ont aussi pris les armes comme Madeleine Tasset (Andenne), dont on a retrouvé une photo qui la montre manipuler une mitrailleuse et porter la tenue de l’armée secrète.
Les résistantes ont souvent été invisibilisées, comment l’expliquer ?
Bénédicte Rochet : Il y a d’abord des facteurs qui sont propres à l’histoire de la résistance et de la politique belges. Au lendemain de la 2e guerre mondiale, le gouvernement doit gérer des milliers de résistants dont certains sont armés tandis que d’autres font partie du Front de l’indépendance, réseau majoritairement communiste dont l’importance fait craindre une révolution dans notre pays. Churchill et Roosevelt vont alors inciter le gouvernement belge à reprendre les rênes du pouvoir et à maintenir l’ordre en s’appuyant sur les forces de police officielles et l’armée belge. Dans ce contexte, la résistance va être dénigrée et surtout désarmée.
Dès novembre 1944, les résistants vont manifester pour obtenir une reconnaissance de leur statut. Ces manifestations vont être mises sous le boisseau par le gouvernement et même par la presse. Aujourd’hui encore, les commémorations mettent surtout à l’honneur l’armée. Et, lorsqu’on évoque la résistance, on rend hommage à ceux qui sont morts durant la guerre.
Beaucoup de femmes ne vont par ailleurs pas demander une reconnaissance de statut parce qu’elles ne se retrouvent pas dans la connotation militaire qui y est associée à l’époque. En outre, comme elles entraient souvent en résistance avec l’ensemble de la cellule familiale, c’était le père de famille qui allait déposer le dossier de reconnaissance. Tout cela a participé à l’invisibilisation des résistantes.
A.T. : Lors du colloque, Ellen De Soete, fondatrice de la Coalition 8 mai, a livré un témoignage très touchant. Elle a expliqué comment sa mère, résistante arrêtée et torturée, a bâti toute sa vie sur le silence. Son supplice avait été la conséquence du fait que d’autres avaient parlé. Il était donc essentiel pour elle de se taire afin de ne pas mettre ses enfants en danger. S’ils savaient, ils risquaient peut-être à leur tour d’être torturés. Ce n’est qu’à la fin de sa vie qu’elle a libéré sa parole. Ellen De Soete a expliqué que, enfant, leur mère leur interdisait de sortir ou d’inviter des amis à la maison. Les cicatrices provoquées par la guerre ont donc bien souvent débordé des individus eux-mêmes pour avoir un impact sur l’ensemble de la famille, y compris sur les générations suivantes. C’est donc aussi cette culture du silence qui a participé à l’invisibilité des femmes résistantes.
B.R. : À partir des années 60-70, il y a un basculement avec les gender studies. Les études vont, dans un premier temps, se concentrer sur les femmes au travail et les droits des femmes, mais pas du tout sur leur rôle dans les contextes de guerre. Ce n’est donc qu’à la fin des années 90 et au début des années 2000 que l’histoire s’intéresse aux femmes résistantes durant la guerre 40-45.
Lors du colloque, vous avez aussi abordé les rapports entre l’extrême droite actuelle et la question du genre. Les droits des femmes sont souvent mis à mal par les partis d’extrême droite, et pourtant, en France, en Italie, en Allemagne, les grandes figures de ces partis sont des femmes. Comment peut-on expliquer cette contradiction ?
A.T. : Il est difficile de répondre tant cela semble effectivement peu logique. Cela ressemble plus à une posture opportuniste qu’à une volonté de rendre les genres égaux dans la société. La présence de femmes à la tête des mouvements d’extrême droite en Europe est un moyen de déradicaliser le discours. On sait également que, dans la communication politique de l’extrême droite, on n’est pas à un paradoxe près. D’une certaine manière, ces partis aiment jouer la rupture entre ce qui est attendu de figures politiques et ce qu’elles disent ou font. Donc, une femme qui tient un discours à la limite masculiniste est acceptable dans ces partis, alors que cela ne le serait pas dans un parti traditionnel.
B.R. : Les politologues qui ont participé au colloque ont aussi apporté un élément de réponse qui rejoint et complète l’histoire. Dans leur programme, ces partis affirment défendre le droit au sentiment de sécurité des femmes. Ils leur disent : vous avez de la chance, vous êtes libres et vivez dans un contexte de liberté d’expression, mais il vous manque la sécurité physique. Et qui met cette sécurité en danger ? Ce sont ces migrants, ces étrangers qui violent nos femmes et qui sont désignés comme l’ennemi commun. Ce discours sécuritaire peut toucher certaines femmes. Celles qui ont adhéré au parti nazi dès les années 30, l’ont fait dans l’idée de vivre dans une société sécurisée à l’abri de la violence des communistes, des juifs, etc.
Le nazisme s’appuyait-il aussi sur de grandes figures féminines ?
B.R. : On a seulement commencé à s’intéresser aux femmes du Troisième Reich dans les années 90. Les femmes ont souvent joué un rôle en tant qu’épouses. On pense par exemple à Magda Goebbels, épouse du ministre de la propagande, Joseph Goebbels, ou à Emmy Sonnemann, épouse de Hermann Göring. Ces femmes ont joué un rôle de réseautage et de soutien du régime, en organisant, par exemple, des dîners et réceptions. Le récent film de Jonathan Glazer, « La Zone d’intérêt », illustre bien ce rôle des femmes. Il met en scène le cadre familial du commandant du camp d’Auschwitz. Il montre comment son épouse instaure un climat familial accueillant et joue donc un rôle important de soutien à son mari, alors qu’elle sait ce qui se passe dans le camp situé de l’autre côté du mur de son jardin.
À côté des épouses, plus de 500 000 femmes se sont engagées pour le troisième Reich, comme gardiennes dans les camps, infirmières, etc. Et puis, quelques personnalités n’ont pas agi en tant qu’épouse. Leni Riefenstahl, par exemple, a réalisé des films documentaires qui ont soutenu le parti.
A.T. : Et ce sont sans doute les films les plus efficaces de la propagande nazie !
Le programme du parti nazi en ce qui concerne les femmes a évolué au fil des années. Dans les années 30, il s’agit de mettre les femmes en sécurité. Dans les années 40, le rôle de la femme est de produire des bébés pour soutenir la race aryenne. Et puis, en 43, alors que les nazis constatent qu’ils sont en train de perdre la guerre, le curseur bouge encore : les femmes sont alors engagées dans l’industrie de guerre.
Le travail de mémoire auprès du grand public porte souvent sur les conséquences du nazisme, moins sur les mécanismes et les discours qui ont permis aux nazis de prendre le pouvoir. Les méthodes et la rhétorique de l’époque sont-elles similaires à celles de l’extrême droite actuelle ?
A.T. : Oui, par exemple dans la recherche du bouc émissaire et le développement des peurs. Lors du colloque, les politologues parlaient de « paniques morales ». Aujourd’hui, l’extrême droite insiste, par exemple, sur le déclin des valeurs morales, en pointant du doigt les personnes transgenres ou les personnes aux préférences sexuelles différentes. Elle va insister sur la nécessité de transformer le modèle social pour revenir à un traditionnel, tout en faisant peur. L’instrumentalisation des peurs est le fondement de la stratégie électorale des partis d’extrême droite, soit en accentuant les craintes qui existent, soit en les faisant littéralement naître.
On sait que l’antisémitisme existait au préalable, mais les nazis lui ont accolé de nombreux discours violents et déshumanisants, pour justifier l’extermination des juifs. La violence était, dès lors, justifiée par le fait que les populations juives, gitanes, homosexuelles, étaient dangereuses.
On retrouve aujourd’hui le même schéma dans certains discours agressifs qui proviennent de groupuscules d’extrême droite ou, plus généralement, de groupuscules extrémistes. Ces discours pourraient amener certains à justifier des violences semblables à celles de la guerre 40-45 envers ces soi-disant menaces pour la société.
B.R. : La rhétorique est également similaire. Aussi bien dans le parti nazi que dans les partis d’extrême droite actuels, on est face à des tribuns qui, comme Hitler ou Goebbels, aiment les monologues. Ils tiennent des discours qui assènent des vérités et qui créent une panique morale. Par contre, tous ces tribuns sont en difficulté lorsqu’ils doivent débattre d’idées.
C’est un peu la même chose aujourd’hui. Dans un débat contradictoire, Donald Trump va par exemple aller au conflit, comme il l’a fait avec le Président Zelenski. Göring, Hitler, Goebbels faisaient exactement la même chose. On a retrouvé des archives sonores du procès de l’incendie du Reichstag dans lesquels on entend Göring sortir complètement de ses gonds lorsqu’il est mis en contradiction avec un des accusés ou un des avocats.
Ces similitudes doivent donc nous alerter sur les dangers de l’extrême droite actuelle ?
A.T. : Oui. C’est l’objectif de « Coalition 8 mai », créée par Ellen De Soete qui a pris conscience que, lors des commémorations, on perpétue les mêmes gestes, mais on en a souvent perdu le sens. Il y a pourtant aujourd’hui des raisons de craindre qu’on débouche sur des horreurs semblables à celles commises en 40-45. L’association veut sensibiliser le public à ce danger. C’est pourquoi elle a proposé au Département d’histoire d’organiser ce colloque.
« 1000 Résistantes ! 1940-1945. Des femmes dans la Résistance en Province de Namur. »
À travers cette publication, le lecteur découvre les réseaux de résistance actifs en Province de Namur au sein desquels de nombreuses Namuroises se sont engagées durant la guerre 40-45. Le carnet présente également une liste de 1000 résistantes namuroises et les portraits de 15 d’entre elles réalisés par les étudiants du bloc 2 en histoire.
Le projet a été initié par le Service des Musées et du Patrimoine culturel de la Province de Namur (SMPC) dirigé par Mélodie Brassine, alumnus du Département d’histoire, en collaboration avec le professeur Axel Tixhon. Au départ l’idée était de trouver une résistante pour chacune des 38 communes que compte la Province, mais le SMPC a pu, grâce à ses recherches, dresser une liste de 1000 noms. « Il y a donc un potentiel de recherche incroyable sur les résistantes en Province de Namur et ailleurs. Dans les différentes communes, il y a matière à creuser. Cela peut être une occasion pour les pouvoirs locaux de mettre en valeur certains profils à travers toute une série de démarches. Le travail de recherche pourrait être réalisé par des groupes d’action locale, des écoles secondaires, voire par des élèves de 6e primaire », suggère Axel Tixhon.
Cet article est tiré de la rubrique "Experts" du magazine Omalius #37 (Juillet 2025).
Copyrights (par ordre d'apparition) :
- Louise-Marie Danhaive
- Imprimerie clandestine à Liège, 1944 – © Cegesoma
- Madeleine Tasset – copyright : © Collection M. Tasset, Bibliotheca Andana
- Irma Caldow à Solre-sur-Sambre vers 1943-1944 – © Cegesoma
- Le baiser du GI septembre 1944 – © Cegesoma
Fonds de Bergeyck : des documents rares étudiés par le centre PraME
Fonds de Bergeyck : des documents rares étudiés par le centre PraME
C’est dans le cadre d’un projet de recherche portant sur le patrimoine médiéval conservé à la Bibliothèque Universitaire Moretus Plantin (BUMP) que le fonds d’archives qui lui a été confié par la famille de Brouchoven de Bergeyck a fait l’objet d’une étude minutieuse de la part de l’historien Romain Waroquier. Ce fonds revêt un intérêt historique et scientifique indéniable : jusqu’ici inconnu des chercheurs, il recueille des documents d’une extrême rareté.
Romain Waroquier est docteur en Histoire et chercheur postdoctorant au sein du centre de recherche Pratiques médiévales de l’écrit (PraME) de l’UNamur. Depuis 2024, et grâce au mécénat de la fondation d’utilité publique Institut Moretus Plantin, il a inventorié, identifié et analysé chacun des 214 documents qui composent le fonds d’archives mis en dépôt à la BUMP par le comte René de Brouchoven de Bergeyck de Namur d’Elzée, dont les ancêtres furent comtes de Namur (avant 1421) et seigneurs de Dhuy (commune actuelle d’Éghezée).
L’ensemble est exceptionnel pour deux raisons : d’abord, sa profondeur chronologique, qui pénètre jusqu’au cœur du Moyen Âge. Le plus ancien document date de 1263 ; or, il est très rare que des fonds d’archives nobiliaires aient survécu à travers les siècles et notamment à la Révolution française, qui a occasionné de nombreuses destructions de documents rappelant le passé féodal de nos régions. Le fonds est remarquable, ensuite, en raison de sa cohérence : il illustre, de manière inédite, l’histoire de la seigneurie de Dhuy, de son château (représenté ci-dessus vers 1828) et de ses dépendances. Cette seigneurie s’est transmise, sans discontinuité, au sein de la même famille depuis le début du 15e siècle
Un livre foncier unique en province de Namur
En mettant en dépôt à la BUMP une partie de ses archives, le comte de Brouchoven de Bergeyck a posé un geste important vis-à-vis du monde scientifique, qui pourra désormais les exploiter et mettre en lumière certains aspects de l’histoire seigneuriale du Namurois au Moyen Âge.
« La charte de 1263 (voir image ci-contre), qui relate la donation de la seigneurie hautaine (le droit du seigneur sur les personnes et les biens relevant de sa juridiction, NDLR) par le comte de Namur à Libert de Dhuy, n’avait été transmise qu’au travers de copies. Nous avons désormais accès à l’original au sein du fonds de Bergeyck », s’enthousiasme Romain Waroquier.
« À côté d’une vingtaine de chartes documentant la transmission intrafamiliale de la seigneurie (1263-1490), la pièce maîtresse du fonds réside dans un livre ou polyptique foncier, un document de gestion dans lequel sont consignées les descriptions des terres constituant la seigneurie de Dhuy. Ce manuscrit a connu deux phases de rédaction, la principale en 1417 et la deuxième sans doute vers 1489 », poursuit le médiéviste. « On rencontre habituellement ce type de document dans le cas des grands domaines ecclésiastiques ». Dans le cadre d’une seigneurie laïque, ce polyptique ne connaît qu’un seul équivalent comparable dans l’espace mosan, le censier de la seigneurie de Jauche, daté de 1444 et étudié par l’historien Georges Despy. Il s’agit donc d’un document unique en province de Namur, mais également rarissime à une échelle plus large.
Une seigneurie au statut particulier
« La raison d’être du document interpelle : ce n’est pas un censier, car la description de la seigneurie ne se fait pas sur base du cens (redevance payée au seigneur par les tenanciers d’une terre, NDLR). Il ne s’agit donc pas d’une raison fiscale. Et l’historien de livrer son hypothèse quant à l’origine du manuscrit : « les possessions constituant la seigneurie de Dhuy sont réunies à la fin du 14e siècle par Jean de Namur, le fils cadet du comte de Namur Guillaume Ier. La seigneurie de Dhuy est sa possession personnelle, sur laquelle il a racheté tous les droits et biens entre 1390 et 1392, alors qu’il était seigneur de Wienendaele et de Renaix, et non destiné à régner. Lorsqu’il accède à la tête du comté en 1418, après le décès de son frère Guillaume II, sans héritier, il fait probablement inventorier les biens de sa seigneurie personnelle afin d’éviter qu’elle se confonde avec celle du domaine comtal ». On constate en effet que, lors de la cession du comté de Namur au duc de Bourgogne Philippe le Bon, en 1421, la seigneurie de Dhuy est exclue de la vente. « Cela est clairement stipulé dans l’acte de vente du comté. La seigneurie est cédée par Jean de Namur en apanage (portion de domaine accordée par le seigneur, en compensation, à un enfant exclu de la succession du titre, NDLR), à son fils naturel Philippe. Elle est écartée de la vente car elle était la possession de Jean avant qu’il ne devienne comte », conclut Romain Waroquier.
Un inventaire et des publications pour faire connaître le Fonds de Bergeyck
L’inventaire scientifique réalisé par le chercheur sera publié prochainement aux Presses Universitaires de Namur. Il donnera ainsi un aperçu détaillé de la partie médiévale du fonds, mais également de ses portions modernes et contemporaines, qui sont principalement constituées de testaments et de conventions de mariage (16e-17e siècles), de documents personnels ainsi que d’un beau dossier épistolaire datant de la période napoléonienne : « Il s’agit d’une vingtaine de lettres échangées entre le comte et son fils, engagé dans l’armée de l’Empire et qui va décéder durant la guerre d’indépendance d’Espagne (un conflit qui a opposé l'Espagne et ses alliés à la France de Napoléon Ier entre 1808 et 1814, NDLR) ». Plusieurs articles scientifiques suivront, dont l’édition critique et la remise en contexte du fameux livre foncier évoqué plus haut. Les chartes médiévales seront également numérisées tout prochainement et rendues accessibles au public sur le portail Neptun de la bibliothèque universitaire namuroise.
Le centre de recherche Pratiques médiévales de l’écrit (PraME)
Fondé en 2009, le centre PraME réunit une vingtaine de chercheuses et de chercheurs qui consacrent leurs travaux aux écrits et aux multiples facettes de l’activité d’écriture dans l’Occident médiéval. Il bénéficie d’une reconnaissance en Belgique et à l’international et noue de nombreuses collaborations interdisciplinaires au sein du monde académique et en dehors (dépôts d’archives, bibliothèques, musées, sociétés savantes…), dans le cadre de projets de recherche et de médiation scientifique. Le centre PraME est un pôle de l’institut de recherche PaTHs de l’UNamur.
Ce projet de recherche bénéficie du soutien de la fondation d’utilité publique Institut Moretus Plantin.
Cet article a été publié dans la newsletter du Fond Namur Université.
Axel Tixhon, garant scientifique d’un projet historique en réalité augmentée
Axel Tixhon, garant scientifique d’un projet historique en réalité augmentée
C’est une première en Wallonie ! La Citadelle de Dinant propose désormais une visite en réalité augmentée qui plonge les visiteurs au cœur de son histoire. À la manœuvre : la société française Histovery, spécialisée dans les reconstitutions patrimoniales, avec le soutien scientifique d’Axel Tixhon, professeur au Département d’histoire de l’UNamur.
Sur la photo : Édouard Lecanuet, assistant de production chez Histovery, la ministre Valérie Lescrenier en charge du Tourisme et du patrimoine, Marc de Villenfagne, administrateur délégué de la Citadelle de Dinant, et Axel Tixhon, professeur au Département d’histoire de l’UNamur, inaugurent l’HistoPad, outil de reconstitution 3D de l’histoire de la Citadelle de Dinant. Un projet validé scientifiquement par Axel Tixhon.
Grâce à une tablette interactive baptisée HistoPad, le public explore les lieux comme jamais auparavant. En différents points du parcours, les visiteurs découvrent des scènes historiques reconstituées en 3D, appuyées par une documentation rigoureuse et une reproduction fidèle des décors, costumes et objets d’époque.
Trois périodes clés ont été retenues pour cette immersion :
- 1821, époque hollandaise et construction du fort
- 1832, période belge durant laquelle la Citadelle devient prison militaire
- 1914, lors de la Première Guerre mondiale, le site est le théâtre d’affrontements
La rigueur historique au service de l’innovation
Le professeur Tixhon a accompagné toutes les étapes du projet, en tant que membre du comité scientifique. Il a dans un premier temps mis en exergue les événements intéressants d’un point de vue historique et les traces encore visibles aujourd’hui, comme des pièces d’artillerie, une ancienne cuisine ou une boulangerie. Il a également fourni à Histovery une documentation pertinente et fiable.
Une reconstitution historique fidèle, jusqu’au moindre détail
Son expertise a permis d’évaluer la justesse historique des reconstitutions.
Ils m’ont demandé de valider des détails, comme les uniformes de l’armée hollandaise ou le maniement des armes », explique-t-il. « Il fallait aussi éviter les anachronismes. L’équipe d’Histovery avait par exemple affiché un portrait du roi Léopold Ier qui datait de 1850 dans le bureau d’un commandant du fort en 1832. Ils avaient également exposé les blasons actuels des 9 provinces belges qui ne correspondaient pas aux blasons de l’époque. Il a donc fallu trouver le bon portrait et les bons blasons.
L’invisible recomposé grâce aux archives
Certains lieux ont aussi été recréés virtuellement à partir de sources iconographiques anciennes, comme un ingénieux mécanisme en bois qui permettait autrefois d’acheminer l’eau de la Meuse jusqu’à la forteresse.
Histovery, déjà connue pour ses réalisations au château de Chambord, au Palais de papes à Avignon ou encore au Fort Alamo aux États-Unis, signe ici une première wallonne, mêlant patrimoine, innovation et rigueur scientifique. Une réussite qui démontre, une fois de plus, la pertinence du dialogue entre les experts de l’Université de Namur et les acteurs socio-économiques et culturels.
L'institut Patrimoines, transmissions, héritages (PaTHs)
L’institut Patrimoines, Transmissions, Héritages (PaTHs) est une fédération de centres et de groupes de recherche qui ont vu le jour dans et autour de la Faculté de philosophie et lettres. Plusieurs pôles de recherche composent cet institut. Axel Tixhon est membre du pôle HISI (Histoire, sons, images).
Le Département d'histoire de l'UNamur
Comme discipline, l'histoire prospecte le passé humain dans toute sa complexité : populations, économies, techniques, politiques, religions, arts, idéologies, etc.
Événements
Fonder, bâtir, prier. Aux origines des abbayes de moniales cisterciennes dans les Pays-Bas méridionaux (XIIIe siècle)
Organisé sur le site de l’ancienne abbaye Notre-Dame du Vivier, ce colloque entend cerner les raisons du succès des mulieres religiosae avant 1250, les circonstances concrètes dans lesquelles les fondations et affiliations se sont déroulées, ainsi que les modalités de la pérennisation institutionnelle et matérielle des communautés jusqu’au terme du XIIIe siècle. Cette exploration du temps des origines s’appuiera sur un dialogue poussé entre historiens et archéologues, qui se veut être la spécificité de la rencontre.
Le succès du monachisme cistercien féminin dans les Pays-Bas méridionaux au XIIIe siècle – plus d’une quarantaine de maisons dans les diocèses de Liège et de Cambrai – est un puissant révélateur des aspirations d’une société en transformation, qui s’enthousiasme pour les nouvelles formes de spiritualité et de vie religieuse. Pour autant, le phénomène reste étonnamment peu étudié, malgré la richesse des sources archéologiques et historiques.
Au programme
Jeudi 11 décembre 2025
9h30 : Accueil
10h00 : Introduction par le comité organisateur du colloque
Session 1 – Présidence : Marie-Élisabeth Henneau (Université de Liège)
10h30 : Alexis Grélois (Université de Rouen-Normandie, GRHis) – L’appartenance des moniales à l’ordre cistercien (XIIe-XIIIe siècle) : faux débats et vraies questions
11h30 : Pause-café
11h45 : Michel Dubuisson (Abbaye de Villers asbl), Patrice Gautier (Musées royaux d’Art et d’Histoire), Louise Hardenne (Musées royaux d’Art et d’Histoire) – L’abbaye de La Cambre dans la filiation villersoise
12h35 : Pause repas
Session 2 – Présidence : Jeroen Deploige (Universiteit Gent)
13h40 : Marie-Christine Laleman (Ville de Gand), Els De Paermentier (Universiteit Gent) – L’abbaye de la Byloque à Gand : entre mémoire archéologique et richesse d’archives
14h30 : Pierre-Hugues Tilmant (SPW, AWaP), Marie Verbeek (SPW, AWaP), Sarah Cremer (Institut royal du Patrimoine artistique), Nicolas Ruffini-Ronzani (Université de Namur/Archives de l’État à Namur) – Dossier de fondation de l’abbaye Notre-Dame du Vivier : l’archéologie permet-elle de lever un coin du voile ?
15h20 : Pause-café
15h40 : François De Vriendt (Société des Bollandistes) – Mémoire et dévotion dans les communautés féminines du Hainaut et du Namurois. Quelle place pour les figures et les traditions locales ?
16h30 : Robin Moens (FWO/KU Leuven) – (Que) des murs spirituels ? La spiritualité des mulieres religiosae clôturées dans et hors de l’espace monastique
17h20 : fin de la première journée
18h00 : verre de l’amitié offert par le SPW
Vendredi 12 décembre 2025
Session 3 – Présidence : Geneviève Laurent (SPW, AWaP)
9h00 : Philippe Mignot (SPW, AWaP) – L’abbaye de Clairefontaine : données archéologiques sur les origines
9h50 : Vincent Debonne (Vlaamse Overheid–Agentschap Onroerend Erfgoed), Robin Moens (FWO/KU Leuven) – Des sœurs un peu plus lentes que nous le pensions. L’abbaye cistercienne du Val-des-Vierges près d’Audenarde
10h40 : Pause-café
11h00 : visite de l’ancienne abbaye Notre-Dame du Vivier, en compagnie des archéologues de l’AWaP
12h00 : pause repas
Session 4 – Présidence : Mathieu Piavaux (Université de Namur)
13h00 : Virginie Boulez (SPW, AWaP), Alain Marchandisse (FNRS/Université de Liège) – La Paix-Dieu 1240-1244. Fondation d’une abbaye de cisterciennes sous l’épiscopat de Robert de Thourotte. Dialogue des sources historiques et archéologiques
13h50 : Marie Demelenne (Musée royal de Mariemont), Patrice Gautier (Musées royaux d’Art et d’Histoire), Jean-François Nieus (FNRS/Université de Namur) – L’ermite, la dame et les clercs. Aux origines de l’abbaye de L’Olive (Morlanwelz)
14h40 : pause-café
15h00 : Emmanuel Bodart (Archives de l’État à Namur) – L’abbaye de Félixpré près de Givet. Nouvelles révélations sur sa fondation et sa dotation (1246-1266)
15h30 : Paul Lambrechts (Herita vzw) – L’abbaye d’Herkenrode, un millénaire d’histoire : comment interpréter mythes, fouilles et sources, et comment les incorporer dans un projet pour l’avenir ?
16h00 : Benoît Rouzeau (Université de Picardie Jules Verne, Trame UR 4284/ LAMOP UMR 858) – Conclusions générales
16h30 : fin du colloque
Comité organisateur
- Aurore Carlier - Société archéologique de Namur
- Patrice Gautier - Musées royaux d’Art et d’Histoire
- Xavier Hermand - Université de Namur
- Fiona Lebecque - Société archéologique de Namur
- Jean-François Nieus - FNRS/Université de Namur
- Matthieu Pignot - FNRS/Université de Namur
- Nicolas Ruffini-Ronzani - Université de Namur/Archives de l’État
- Pierre-Hugues Tilmant - SPW, AWaP
- Marie Verbeek - SPW, AWaP
Informations pratiques
Le comité organisateur des journées d’étude tient à remercier les propriétaires de l’abbaye Notre-Dame du Vivier pour leur accueil et la mise à disposition des locaux.
Autour de ces Journées d’étude gravite une multitude d’évènements consacrés à l’Abbaye Notre-Dame du Vivier de Marche-les-Dames. Pour en savoir plus, consultez le programme sur www.lasan.be
Fernand Peloux (CNRS/Université de Toulouse)
Fernand Peloux, Eulalie, Juste et Rufine. Écriture, réécriture et transmission des Passions de saintes de l'Hispanie antique.
Laetitia Ciccolini (Sorbonne Université)
L'Enchiridion d'Augustin à travers ses sommaires : circulation, réception, usages