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Linguistique allemande: Langage et société - Manipulation versus conscientisation

Depuis une vingtaine d'années, l'Unité d'Allemand réalise des études dans le domaine de la sociolinguistique. L'accent a été mis notamment sur le rôle du langage dans la vie de l'individu et d'un groupe social. Nous sommes partis de l'hypothèse que c'est le langage qui est à la fois point de repère et point d'appui pour l'affirmation de l'identité de l'homme. Entre lui et le monde, entre lui et l'autre, le langage reste l'intermédiaire inévitable, le lieu où se produit l'expérience du monde et de soi. Le langage instaure, institue le monde pour le sujet parlant. C'est à travers le langage que les traditions sociales, les interdits, les règles du comportement sont sans cesse transmis et maintenus. Etre aliéné, c'est en quelque sorte être prisonnier d'un langage qui rend étranger à soi-même, c'est vivre par procuration, s'identifier à un ordre que l'on n'a pas produit.

Les résultats de ces recherches ont nourri les réflexions du groupe de recherche interdisciplinaire Compétence langagière, école et société en crise dont trois des quatre promoteurs appartenaient à la Faculté de Philosophie et Lettres. Par ailleurs, ces recherches forment la base théorique du projet Alphabétisation et conscientisation au Kivu cofinancé par L'Union Européenne et la FUCID (1994-1999). La Paulo-Freire-Gesellschaft leur a donné une large diffusion internationale.

Pour les années à venir, nous voudrions centrer la recherche sur la problématique Manipulation versus conscientisation. Pourquoi avoir choisi ce thème? L'échange langagier (Pierre Bourdieu parlerait du "marché linguistique"), n'est généralement pas une activité pacifique, mais un espace de tensions et d'agressions. Il suffit de regarder comment le langage fonctionne dans l'arène politique, lieu fait lui-même d'antagonismes, traversé de lourds enjeux de pouvoirs et, par dessus le marché, médiatisé à outrance. C'est en termes de "stratégies discursives" que U. Windisch propose une approche du discours conflictuel dont le discours politique est le prototype parfait. Mais, comme l'a très bien montré Ruprecht Lay, le danger de manipulation ne se limite pas au champ politique. Les domaines social, économique et culturel sont également menacés.

A l'opposé, le langage peut aussi être outil de conscientisation et d'humanisation. Le pédagogue brésilien Paulo Freire, qui est décédé en mai 1997, a non seulement jeté les bases théoriques de cette approche, il l'a également mis en pratique dans de nombreux pays du monde. Freire insiste sur le lien entre le langage et la réalité: "Exister humainement, c'est dire le monde, c'est le modifier. Le monde exprimé devient à tous un problème à résoudre." Sa méthode, notamment en ce qui concerne les mots générateurs, suppose une approche sémantique particulière. La signification est d'abord définie négativement comme quelque chose qui n'est pas inhérent au signe. Un élément linguistique n'acquiert sa signification que dans un contexte socio-économique donné. En tant que tel, un monème (dans le sens d'André Martinet) ou un signe complexe n'a que des virtualités sémantiques. En d'autres termes, le signe ne reproduit pas chez les partenaires de la communication une signification existant depuis toujours mais il provoque d'abord la transmission des expériences individuelles qui sont liées au contenu du signe. Ainsi le processus de conscientisation de la situation sociale, économique, politique et culturelle est en même temps un processus de sémantisation des signes linguistiques.

Parmi les périodes historiques les plus intéressantes à étudier sous le double angle de la manipulation et de la conscientisation, il y a le Troisième Reich. Les national-socialistes ont systématiquement essayé de mettre le langage au service de la dictature ("Machtübernahme über die Sprache", comme le formule Siegfried Borck). Alfred Grosser, que la Faculté de Philosophie et Lettres des FUNDP a déjà accueilli dans le cadre de ses grandes conférences, estime que le national-socialisme a véritablement créé une langue nouvelle dont les mots n'ont pas d'équivalent en français (...). On ne peut pas rendre sensible la coloration particulière des mots et formules qui reviennent sans cesse. L'exposé que j'ai fait à la Freie Universität Berlin, en mai 1995, sur le thème Zwischen Kollaboration und Widerstand. Die Haltung der belgischen Katholiken gegenüber dem Faschismus m'a amené à approfondir cette problématique.

D'autres études pourraient être réalisées dans le cadre du projet de recherche Manipulation versus conscientisation. Je pense notamment à une étude critique des textes diffusés par les partis politiques avant les élections ou encore au discours relatif à l'affaire Dutroux. Ce genre de sujet se prête particulièrement à la démarche interdisciplinaire que nous voudrions promouvoir dans la Faculté de Philosophie et Lettres.

Durant l'année académique 1998-1999, nous avons profité de la présence régulière du Professeur Matthias Hartig (Universités de Francfort et de Paderborn), un des sociolinguistes les plus connus de la République Fédérale d'Allemagne.