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Confinement et santé mentale

 

Le confinement des personnes, de façon aussi rapide et à durée indéterminée pour le moment, a eu un impact important sur le moral de la population. Tout le monde n'est pas équipé ni émotionnellement, ni d'un point de vue familial (personnes vivant seules, gestion familiale compliquée …) pour affronter cela. Comment analysez-vous ce que nous vivons aujourd'hui, une situation exceptionnelle ?

Tout d’abord, il y a confinement et confinement… Pour répondre à cette question, il convient de nuancer les mots.  Je me permets de paraphraser les propos certes un peu humoristiques de notre Doctor Honoris Causa Josef Schovanec lorsqu’il s’est exprimé il y a quelques temps à la RTBF signalant qu’« En temps de confinement, finalement, les autistes sont très bien préparés ». Il s’agit évidemment d’une situation particulière.  Mais si on observe la situation de manière plus générale, on peut dire qu’il y a autant de types de confinement qu’il y a d’individus.  Et la manière de vivre le confinement dépend de toute une série d’éléments. 

Il y a tout d’abord l’aspect matériel, l’environnement : où est-on confiné ?  Le vécu est évidemment différent selon que l’on ait accès à des espaces extérieurs ou non, selon la taille du lieu de vie, sa localisation.  Ensuite, l’entourage relationnel éventuel : avec qui sommes-nous confinés ?  Seul.e, en famille, avec un.e conjoint.e, des enfants… ? Également, les déterminants personnels ou caractéristiques individuelles : qui sommes-nous ?  Quel est notre état psychologique ?  Avons-nous des troubles psychopathologiques préexistants ? Chaque situation apporte son lot d’avantages, d’inconvénients, de conséquences, de difficultés ou d’opportunités.

Dans des institutions psychiatriques, par exemple, on constate en général une grande résilience et une grande acceptation d’un certain nombre de patients par rapport aux mesures de confinement. Par exemple, la diminution des activités semble mieux vécue et acceptée.  Alors qu’il était possible de prévoir des difficultés voire des débordements comportementaux, je constate que l’adaptation se fait globalement très bien et que la situation est plus facilement gérable que ce qu’elle n’avait été anticipée, dans une population vulnérable au point de vue psychique.

Confinement and lifePour mieux comprendre les effets du confinement, l’approche la plus intelligente est celle qui mêle, d’une part, une compréhension individuelle, personnelle et, d’autre part, les contacts plus systémiques dans les groupes de personnes.  Outre ces aspects, il y a aussi tout le contexte angoissant extérieur auquel tout le monde ne va pas répondre de la même manière.  Cela peut renforcer des traits de personnalité tels que la méfiance, le contrôle et l’anxiété et approfondir des difficultés dépressives chez un sujet qui, justement, aurait voulu être en contact avec d’autres personnes et ne le peut pas. Ensuite, il y a toutes les conséquences liées à des événements traumatisants vécus, pouvant induire à ce qui est appelé des stress post-traumatiques. D’autre part, les deuils sont plus compliqués quand les personnes ne peuvent pas accompagner leurs proches dans les derniers moments voire assister à un enterrement…  En résumé, il y a énormément de conséquences indirectes liées aux circonstances de ce qui peut survenir en temps de confinement.

Autant de situations qui correspondent à autant d’individus ?

Il y a bien sûr de grands processus et des facteurs importants que l’on retrouve chez tout un chacun. Toutefois, il subsiste une diversité très importante, surtout une diversité de réponses à la situation.  Ce sont les différences interindividuelles qui vont être à l’avant-plan.  Que ce soit sur le lieu de travail ou à la maison lors du télétravail, les déterminants personnels (c’est-à-dire la capacité à faire face, à s’adapter, les pathologies préexistantes, la résilience …) vont être prédominants dans la réponse qu’un individu peut donner à cette situation.  Se borner à dire que nos réactions sont les conséquences de ce qui se passe autour (la situation, l’employeur, le télétravail, le confinement) sans impliquer les déterminants personnels ne prendra pas en compte la diversité des réponses.

paper shipsLe confinement isole mais pas dans les mêmes conditions pour tous.  Chacun est « équipé » différemment pour toute une série de capacités.  Par exemple, la capacité de se représenter l’autre à distance.  Ou celle d’avoir confiance dans le fait que son employeur lui fait confiance dans son télétravail (même si on n’est pas dans un bureau alors que certaines personnes peuvent être moins efficace dans un bureau qu’en télétravail).  Comment tout ceci peut-il être redéfini et quel est le cadre de sécurité avec lequel chacun peut repenser son travail ?  Tout en sachant qu’il est difficile de jongler quand il faut à la fois travailler, garder des enfants, s’occuper des cours, de ses parents âgés ou malades, effectuer des tâches ménagères car le conjoint doit aller travailler en dehors du domicile ou est malade … Il y a toute une série de situations à prendre en compte.  Au-delà de cela, il y a une littérature neuroscientifique sur l’isolement social pouvant par exemple entrainer une modification du cerveau en lien avec la dépression et le stress [1].

[1] https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC3181796/ et https://doi.org/10.1016/j.cell.2018.03.037

Quel est l’impact du confinement sur la santé mentale ? Un danger à long terme ou une opportunité ?

De manière systématique, il faut imaginer un individu obligé de s’adapter à une situation forcée. Dans ce cas, soit l’individu a des ressources, soit il n’en a pas, soit il va apprendre progressivement à les développer. Un sujet qui n’en a pas va être directement dépassé et risque de décompenser. Il n’arrivera pas à se structurer, à bien savoir dormir, à manger correctement, à étudier ou travailler efficacement … Bref, il sera dépassé, s’énervera rapidement à la moindre frustration et, donc, manifestera des signes d’une anxiété généralisée avec des symptômes dépressifs qui peuvent être à l’avant-plan.

En santé mentale, les observations cliniques montrent que le stress soutenu, même si c’est un concept relativement flou, est une surcharge émotionnelle qui peut entrainer toute une série de pathologies physiques et psychiques : violence personnelle ou envers autrui, dépression, anxiété, stress post-traumatique, consommation de substances, décompensation psychotique, etc.  Le stress soutenu entraîne des conséquences plus internalisées au niveau somatique, avec des problèmes cardio-vasculaires notamment.

Et puis, il y a des personnes qui ont les ressources pour pouvoir faire face à la situation ou qui vont les développer. Elles vont s’adapter et en tirer profit, avec l’opportunité de se dire que ce rythme leur convient mieux personnellement, familialement et professionnellement. Cela va peut-être forcer certaines personnes ou certaines entreprises à travailler différemment par la suite car elles obtiendront peut-être de meilleurs résultats à certains niveaux malgré le contexte actuel.  

Ce confinement n’est donc pas qu’un problème, c’est aussi une vraie opportunité pour pouvoir avancer sur d’autres modalités entre autres de travail.  Et surtout ne pas se dire qu’après, nous recommencerons de plus belle comme avant : tout le monde dans un bureau, avec présentéisme, absentéisme, bore-out, burn-out, sans confiance qu’un travail à distance puisse exister comme une alternative partielle ou que vivre autrement puisse exister.  Nous sommes aussi pris dans ce phénomène des bonnes résolutions : nous attendons que ce soit fini comme nous attendons le 1er de l’an, avec ces promesses, qui ne sont pas tenues trois semaines plus tard.  Dans l’esprit, des idéaux qui vont se mettre en place : on va changer le monde, c’est la nature qui se réveille, moins de pollution… Toutes une série de bonnes résolutions aussi sont égrenées au fil de l’actualité. Comment lier par contre toutes ces projections à quelque chose de plus opérationnel au quotidien?  L’un des enjeux de cette crise est d’envisager la suite en tirant les leçons de la situation actuelle sans que ce soit un engagement ou une promesse sans lendemain. 

A votre avis, il y aura un avant et un après confinement ?

En tout cas, tout le monde le mentalise comme ça. C’est un événement fort, qui touche le monde entier. Prenons, par exemple, la décision d’un bourgmestre de la côte belge d’annuler toutes les manifestations pour 2020, pour consacrer cet argent à la reprise économique et par solidarité générale et respect des personnes victimes de la maladie. Ces prises de position politiques peuvent s’opérationnaliser immédiatement. Mais au niveau individuel, comment pouvoir soutenir un engagement personnel, s’il faut tenir compte en plus de l’emploi et de l’employeur ?

AdaptUn vrai travail, à la fois stratégique et qui doit tenir compte des aspirations, des craintes et des appréhensions des individus, c’est de pouvoir déjà travailler maintenant à un après, en tenant compte de tout ce qui est positif, entrainé par l’adaptation nécessaire à un niveau qui dépasse l’individu (c’est-à-dire au niveau de la famille, de l’employeur, de toute la société).  Prenons une université.  Le positif, c’est l’enseignement à distance et tout le matériel utilisé qui aura permis de former des professionnels à enseigner à distance.  Cela pourrait profiter à de nouveaux publics d’apprenants, étudiants de par le monde qui n’avaient pas accès auparavant à ce type d’enseignement.  Il y a aussi toute une série de personnes qui vont constater qu’ils sont tout à fait fonctionnels à la maison. Après une phase réfractaire à certaines nouvelles technologies, on constate que cela fonctionne très bien. On avance, on arrive à se parler et … à prendre des décisions !  C’est peut-être moins sympathique pour certains aspects relationnels mais cela peut être opérationnel ! Toute une série de pratiques vont ainsi se mettre en place. 

Comment maintenir cela ?  Que peut-on garder de bon ?  Dans une expérience, imposée et forcée, prendre part activement permet d’augmenter l’adaptation, de s’engager, de donner du sens et d’en tirer du positif. Si tout est imposé et qu’une personne n’a pas la possibilité de se familiariser, il y a peu de chance qu’elle garde des choses car rien ne vient d’elle spontanément, elle ne peut pas s’impliquer ni s’adapter.  Donc oui, il y aura un avant et un après, mais les levées de confinement au niveau du risque sanitaire vont être progressives.  Ce sera une transition progressive permise par une politique de gestion au travers de tests en attendant un vaccin. Il faut ainsi prévoir une transition progressive car il faudra fonctionner non pas exclusivement à cause du Covid-19 mais malgré le Covid-19, en tenant compte d’une nouvelle situation, qui nous force à nous adapter, à repenser les choses, à être prudents, à protéger la population, les soignants, les travailleurs, tout le monde … A ne pas fonctionner comme s’il n’y avait pas de risques mais à avancer et continuer à vivre, à enseigner, à être productifs, continuer la recherche …   

Ne plus s’embrasser, ne plus se serrer la main, rester chez soi, fréquenter moins de personnes… Pensez-vous que nous allons nous comporter de manière différente post-confinement?

En fonction des individus et de leur manière de fonctionner, chacun va sans doute se comporter de manière différente.  Si nous réfléchissons juste d’un point de vue historique, se donner la main vise à montrer qu’on n’a pas d’armes et permet de montrer à l’autre qu’il n’y a pas de danger.  Cela date d’une époque où les gens portaient des armes. Faire la bise est un geste de soumission qui montre la jugulaire à l’autre, un point de faiblesse nous rendant potentiellement vulnérable et rappelant que les intentions de la rencontre ne sont pas hostiles.  Ces actes-là sont symboliquement importants.  Mais à partir du moment où il y a un risque sanitaire, qui peut survenir à nouveau de par la mobilité et l’urbanisation importante de nos sociétés, faut-il garder ces gestes à tout prix ?  Faut-il plus se comporter comme dans d’autres cultures comme par exemple les anglo-saxons ou certaines cultures asiatiques, et faire un salut, un signe sans contact ?  La chaleur des mots peut être enveloppante plus qu’une poignée de main éventuellement flasque ou une bise qui n’est pas franche.  Donc, oui, cela va faire réfléchir. Au niveau des soins, clairement. Dans la vie quotidienne, oui et non.  On va y réfléchir, oui, mais pendant combien de temps ? 

La question, est aussi une question très technique au niveau psychologique.  C’est celle de la fiabilité de la mémoire à long terme.  Nous savons qu’un événement très stressant peut avoir un impact à longue échéance mais on sait également que la mémoire n’est pas fiable. Elle peut se transformer. Même si pour l’individu, un événement s’est passé d’une telle manière selon sa mémoire, cela peut s’avérer totalement faux.  Il serait ainsi intéressant de suivre ce que nous aurons retenu, ce que notre mémoire aura changé…   S’il est ainsi facile d’anticiper que certains auront des distorsions mnésiques importantes, les comportements liés à leurs mémoires risquent également d’être modifiés. Ainsi, je peux aussi imaginer qu’il y aura un hiatus important entre un désir d’engagement et de changement et les changements réels dans la société au niveau individuel et au niveau groupal ou collectif.

La théorie concernant la flashbulb memory, la théorie de la mémoire flash, des souvenirs forts, nous prouve que des souvenirs qu’on pensait autrefois très bien conservés et non soumis à une dégradation ou une transformation progressive ne le sont pas. Ils se transforment également. Cela fait partie d’un mécanisme de base de la mémoire humaine, qui n’est pas fiable et qui se transforme au cours du temps. Il s’opère une réécriture de ce qui a été vécu ou vu, de ce qui a été fait, des engagements pris … C’est pourquoi il est intéressant d’avoir des sources de mémoire externes.  C’est tout le travail des historiens, des journalistes, qui vont communiquer en donnant des témoignages dont on n’aura plus souvenir plus tard.  Ce travail de collecte d’informations est aussi important car on sait qu’au niveau de la mémoire, physiologiquement, on ne garde pas tout en tête comme on pourrait le penser, même pour un événement extrêmement fort ou traumatisant.

Au-delà de cela, de cet aspect physiologique, il y a l’aspect psychopathologique.  Si un événement est extrêmement traumatisant (et cette situation peut l’être), cela dépend des différences interindividuelles.  S’il est vécu comme un stress important et que cela provoque un traumatisme, il peut y avoir une difficulté de liaison de cette information avec le reste de l’activité psychique.  Dans cette difficulté de liaison, il peut y avoir des conséquences : peur de se retrouver dans une situation de confinement, peur de se retrouver à distance et de ne pas pouvoir avoir de nouvelles ou être près de ses proches… Cela peut être vécu de manière extrêmement traumatique.  Il faut alors faire un travail lié aux situations de stress post-traumatique, avec différentes techniques psychothérapeutiques et éventuellement pharmacologiques s’il y a une nécessité. 

Ce qui est intéressant, c’est d’analyser comment les individus vivent ce confinement.  Une enquête est en cours, à destination des étudiants de la Faculté de médecine. 

Interview réalisée le 2/04/2020