Covid-19: les politiques peuvent-ils retrouver la confiance des citoyen·nes ?
Laurent de Briey est Docteur en philosophie et économiste. Professeur au département des Sciences politiques, sociales et de la communication, il dispense entre autres le cours de philosophie économique et politique. Observateur, mais également acteur de la vie politique belge (1), son analyse porte sur le triangle formé par la population, le politique et les experts. Sur le lien de confiance entre la population et le monde politique. Sur les leçons initiales de la crise du Covid-19 dans ce schéma. |
(1) Laurent de Briey était le Chef de Cabinet de l’ancienne Ministre de l’éducation, Marie-Martine Schyns. Il est aujourd’hui le pilote du processus participatif « Il fera beau demain – Mouvement positif ».
La crise du coronavirus pose de nombreux constats, dont celui de la confiance que la population accorde au politique. Quel regard portez-vous sur l’actuelle relation des Belges avec leurs représentant·es ?
Avant toute chose, il faut resituer la question de la confiance dans le politique dans un contexte plus large, au-delà de la situation actuelle.
Depuis quelques années, le monde politique est dans une situation où les gens ont perdu confiance en lui. Nous sommes dans un momentum où le politique se questionne quant à la manière de retrouver un lien avec les citoyens et citoyennes et, ainsi, une certaine forme de légitimité. On le constate notamment avec la montée du populisme qui peut être considéré comme l’un des symptômes de cette perte de confiance envers les partis plus traditionnels, dits « de gouvernement ».
Si la confiance est faible actuellement, elle est néanmoins consubstantielle au fonctionnement d’une démocratie dont l’une des vertus est de questionner le pouvoir en place. Par là même, la contestabilité est un principe de base de toute démocratie. Le pouvoir est conçu comme faillible et il doit pouvoir être contesté. Le temps de l’élection est donc important, pas seulement pour le principe même du choix des élus mais aussi parce qu’il signifie que les représentants ont des comptes à rendre à la population. Les représentants politiques ne doivent pas seulement obtenir la confiance des électeurs et des électrices au moment du vote. En fait, ils sont constamment en quête de légitimité. On en arrive à un biais induit par cette quête : le politique est sous pression, ce qui peut conduire à des politiques court-termistes, elles-mêmes induites par une recherche de confiance auprès d’électeurs et des électrices qui parfois attendent tout et son contraire. C’est la quadrature du cercle. Quoi qu’il en soit, en démocratie, le représentant ou la représentante politique a besoin d’obtenir la confiance et la légitimité auprès de ses concitoyens et concitoyennes.
Durant les quatre dernières décennies, la confiance s’obtenait principalement en démontrant son efficacité, définie autour d’un consensus sur les objectifs à poursuivre : croissance économique, faible taux de chômage, équilibre des finances publiques, services publics de qualité, etc. Or, avec la crise financière de 2008 d’une part, et la mondialisation de l’économie d’autre part, continuer à se faire juger sur des critères macro-économiques est suicidaire. La croissance est structurellement faible et l’impact des politiques publiques d’un petit pays dans un contexte globalisé est très questionnable. Compliqué, dès lors, pour le pouvoir en place, de démontrer qu’il est un bon gestionnaire pour assurer sa légitimité… A fortiori, ça l’est encore plus au regard des différentes affaires qui ont secoué la Belgique depuis une vingtaine d’années créant dans l’imaginaire collectif l’idée, qu’en plus, les politiques s’en mettent plein les poches. A côté de ces deux causes structurelles, on peut en souligner une troisième. Les partis traditionnels s’ancraient, auparavant, dans un mouvement citoyen plus large. Ce sont les fameux piliers. Chaque parti était en lien avec une mutuelle, un syndicat, un réseau d’enseignement… Cela assurait un ancrage des partis politiques dans un contexte sociétal et un lien d’identification plus fort avec les citoyens et citoyennes. Ces trois causes structurelles peuvent sans aucun doute être mises en avant pour expliquer les raisons de la crise de confiance dans le monde politique.
Quelles sont les stratégies que le politique peut mettre en place pour retrouver cette confiance ?
Premièrement, en l’absence de consensus sur des objectifs clairs, la population attend donc aujourd’hui des femmes et des hommes politiques non plus qu’ils soient de bons gestionnaires mais qu’ils puissent requestionner le système. C’est une « repolitisation » du politique : on veut moins de techniques et plus de réflexions sur les finalités des projets de société. Les partis traditionnels sont assez mal placés pour le faire : ils sont enfermés dans des contraintes institutionnelles, dans un cadre européen… Il s’avère donc difficile pour eux de bousculer le système, d’autant plus quand ils sont au pouvoir. Cela rend l’exercice du gouvernement très difficile : on attend des femmes et des politiques politiques qu’ils dépassent le stade de « bons gouvernants » et en même temps, quand ils sont au pouvoir, ils sont confrontés à leurs propres limites… C’est dans ces moments-là qu’on observe alors une érosion de la confiance des électeurs et des électrices. Certains politiciens et politiciennes ont réussi à créer de l’engouement autour d’eux durant leur campagne en arrivant à dépasser la figure de « bon gouvernant ».
Souvent, ce sont les populistes qui arrivent à recréer ce moment d’identification. Mais pas uniquement. On songe à Obama qui a capitalisé sur l’espoir. Son « Yes we can » est un des meilleurs slogans : il est positif et il recrée du collectif avec un « nous ». Les Américains et Américaines se sont donc identifiés à lui car il a exprimé leurs espoirs. Même constat avec Trump. Mais il a misé sur la colère. Tsipras, en Grèce, est un autre bon exemple : il a rendu leur fierté aux Grecs. Il s’est même fait réélire une seconde fois alors qu’il n’avait pas obtenu grand-chose dans sa négociation avec la Commission européenne… mais son pays a constaté qu’il avait tout donné pour y arriver ! Macron, jusqu’à un certain point. Mais il a également montré qu’en incarnant cette identification avec un message très positif, il ne faut surtout pas décevoir par après… Quoi qu’il en soit, tous ces exemples démontrent ce à quoi les populations aspirent : s’identifier en une personne qui va parler en leur nom, exprimer leurs peurs, leurs angoisses…
Deuxièmement, il faut retrouver de l’efficacité, prouver que le monde politique est efficace et que son action sert à quelque chose. L’alliance avec des experts est une manière de prouver que l’action politique est aussi efficace que possible. Attention, il y a toujours eu des experts autour des politiques. Mais, il y a un constat frappant dans le cadre de la crise du Covid-19 : les expert·es ne sont plus dans les arrière-salles. Ils sont mis à l’avant-plan, en ce compris pour annoncer les nouvelles tous les jours à 11h00. C’est une manière, cette fois, de dépolitiser le politique lorsque le débat porte sur les moyens plutôt que sur les objectifs. Le message sous-jacent adressé aux Belges est le suivant : « Regardez, nous écoutons les spécialistes. Ce ne sont pas des querelles politiciennes et des jeux d’ego qui définissent notre action. C’est le savoir scientifique ». On essaye donc de revenir à un consensus autour d’enjeux clairement définis, qui ne sont plus économiques ici mais bien de santé publique. Grâce à la crise, les partis de gouvernement ont eu la possibilité de revenir à leur manière habituelle de travailler : être un bon gestionnaire pour résoudre des problématiques claires. Sophie Wilmès a même reconnu que, dans un premier temps, c’était facile. La situation d’urgence était telle qu’il n’y avait aucune réflexion à mener sur les finalités. Il fallait maitriser l’épidémie. Et grâce à aux experts, le politique montre son efficacité. Point. Aujourd’hui, il faut refaire des arbitrages entre des objectifs différents et ça redevient compliqué.
La troisième stratégie est de diminuer la distance entre le citoyen et la citoyenne et le politique en donnant plus de place aux citoyen·nes dans le processus même de la discussion. Il s’agit de ne plus confier le monopole du débat aux politicien·nes, débat qui se fait uniquement par délégation. Dans cette réflexion, on voit apparaître des idées comme le panel de citoyen·nes tirés au sort. Dans sa version la plus radicale, c’est pensé comme une substitution aux représentant·es politiques. Toutefois, ça me paraît dangereux d’aller aussi loin, dans la suppression de toute distance. On oublierait alors le juste écart, nécessaire entre politiques et citoyen·nes, pour qu’il puisse y avoir contestation. Si c’est le peuple qui décide, d’une part, personne ne sait réellement qui est le peuple et, d’autre part, ça va être compliqué de contester sa décision. Or, lui aussi, il est faillible. Créer une distance, incarner la décision est sain. C’est d’ailleurs ce qu’on rencontre comme problème avec le système économique. Le lieu du pouvoir n’est pas incarné… Il n’existe aucun gouvernement économique. Nous sommes face à un système aveugle qui produit des règles s’appliquant aux uns et aux autres… Il n’y a aucune Bastille à renverser ! Et dans une démocratie trop directe, c’est ce que je crains également. Par contre, dans un système mixte, les représentant·es garderaient le pouvoir ultime mais considèreraient l’expertise citoyenne via des panels représentatifs, des consultations, etc. S’appuyer sur la population donnerait une légitimité aux politiques ! Si les recommandations du groupe citoyen sont publiées, il serait alors difficile de ne pas en tenir compte… Le parallèle avec les expert·es Covid-19 et le gouvernement actuel est vite fait.
Quelles seraient les leçons à retenir de la situation que nous connaissons actuellement ?
Les trois stratégies développées sont complémentaires : recréer une capacité d’identification, renouer avec l’efficacité et renforcer la participation citoyenne.
Durant la crise, Sophie Wilmès a réussi dans un premier temps à s’imposer comme la personne rassurante à laquelle les citoyen·nes avaient envie de s’identifier et on s’est appuyé sur l’expertise scientifique pour plus d’efficacité. Par contre, les citoyen·nes ont été absents du débat. Il y a cependant eu un sentiment d’être en transclivage, c’est-à-dire de dépasser les querelles politiciennes et de surmonter les clivages habituels entre les différents niveaux de pouvoir. Un point essentiel à souligner : les partis de gouvernement sont redevenus des alliés objectifs avant d’être des adversaires. Pour atteindre les objectifs et démontrer leur capacité d’efficacité, les partis traditionnels ont coopéré, sans perdre de temps à de la critique non-constructive… Il faut reconnaitre que ces derniers temps, la dynamique qui sous-tendait la vie politique était un jeu de perdant-perdant. Comme on ne savait pas démontrer son efficacité, on faisait en sorte que l’autre perde plus que soi. La crise a recréé une certaine cohésion, certes, très fragile. Les tensions réapparaissent déjà. Il faudrait pouvoir inscrire l’éphémère dans la durée…
Il y a une leçon à en tirer, au-delà de la crise du Coronavirus. Le monde politique doit pouvoir transformer les espoirs en un certain nombre d’objectifs atteignables avec, au final, une punch line : « Je l’ai dit et je l’ai fait ». Il y a besoin de discours de long terme, porteurs de projets de société, mais il faut aussi des « quick wins » à 4-5 ans pour que le citoyen et la citoyenne puissent constater les résultats de l’action politique. Le prochain gouvernement devra parler plus en termes d’objectifs que de réformes. A mon sens, la mobilité pourrait être le « crash test » du politique. Pourquoi cette matière ? Parce qu’elle ne dépend pas de l’international… En se coordonnant au niveau belge, je pense qu’en 4 à 5 ans il est possible d’avoir un impact visible sur la vie quotidienne des citoyen·nes… Si cet objectif était atteint à moyen terme, je suis convaincu que la population retrouverait une certaine forme de confiance dans l’action politique.
27/04/2020