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Chronique 3 | Il faut rappeler aux personnes que le "risque zéro" n’existe pas

Ils partagent, ensemble, leur point de vue sur confinement, la perception du risque au sein de la population et le déconfinement. Regards croisés.


La crise du Covid-19 a mis en avant deux profils au sein de la population : les personnes alarmistes, voire paranoïaques, et les cartésiens. Comment coexistent ces deux factions ? Quelle est, dès lors, leur perception respective du risque ?

Jean-Michel Dogné : Ce qui ressort globalement, dans la situation qui nous préoccupe aujourd’hui, c’est l’incertitude concernant la transparence des données fournies par les autorités notamment, et les incertitudes largement débattues dans les médias sur les données scientifiques parfois contradictoires. Cela crée une dichotomie entre deux factions/groupes. D’une part, nous avons les « complotistes », un peu paranoïaques, qui estiment qu’on nous cache un certain nombre d’informations et que différents risques sont sous-estimés.  D‘autre part, on retrouve les cartésiens qui se basent néanmoins sur les chiffres officiels et concèdent qu’il est nécessaire d’accepter certains risques tout en les minimisant autant que possible et que, selon le principe de Darwin, ceux qui ont le plus de chance de survivre sont ceux qui auront la capacité de s’adapter à ce virus. Autant on peut retrouver fréquemment cette tension au niveau local ou au sein des débats plus restreints dans la communauté scientifique, autant la vivre au niveau mondial et relayé ad nauseum dans la presse est assez rare. Cette situation est accentuée par les réseaux sociaux qui stigmatisent aussi bien l’une que l’autre tendance.

À titre personnel, je me range du côté des cartésiens. Je me base sur le concept de risque. Le risque, c’est la probabilité que quelque chose survienne. Quelle est la chance ou la malchance d’avoir une maladie, un accident, etc. ? C’est à ce niveau que nous pouvons pointer deux problématiques liées au Covid-19. Premièrement, il y a le risque d’être contaminé par le virus et de tomber malade. Secondement, le risque, une fois contaminé, d’avoir des symptômes graves et sévères. Dans les deux cas, il faut rester cartésien et se baser sur des données connues aujourd’hui. D’un côté, le risque d’être malade est défini sur la base d’un certain nombre de facteurs de risque : le taux de contagion du virus est relativement élevé et, pour minimiser la contagiosité, les gestes « barrières » pour ne pas transmettre le virus sont principalement la distanciation physique (et non sociale comme on peut le lire trop souvent), les mesures d’hygiène comme le lavage des mains, le port du masque, etc. Et c’est bien évidemment au niveau de cette minimisation du risque que les tensions surgissent naturellement mettant en avant l’absence de prévoyance et de gestion du matériel disponible et adapté ainsi que leur coût à l’aube du déconfinement (gel hydroalcoolique, masques, testing systématique des personnes…). Quant aux symptômes graves, quel est le risque individuel, une fois contaminé, de les développer ? Là, on connaît les principaux facteurs de risque aussi : le fait d’être âgé, d’avoir des problèmes cardio-vasculaires, une obésité, du diabète mal contrôlé, de souffrir de maladies chroniques, d’avoir un cancer, etc. sont autant d’éléments aggravants qui font que les personnes concernées sont plus vulnérables et doivent d’autant plus éviter d’être exposées au virus. Ce sera un élément à prendre en considération lors du déconfinement à plus grande échelle.

Il faut avoir conscience que ces risques ne sont pas considérés dans leur entièreté. Prenons la mesure générale de la mortalité dans un pays. La grippe saisonnière a été moins virulente cette année et on peut estimer que les mesures d’hygiène protectrices pour tenir le coronavirus à distance ont permis de ralentir la propagation du virus de la grippe dans certains pays. Le confinement a aussi certainement permis de limiter la mortalité liée aux accidents de voiture, par exemple. Il n’en reste pas moins que l’impact du COVID-19 se fait ressentir clairement. Les chiffres de la mortalité globale, toutes causes confondues montrent une hausse importante de la mortalité en Belgique depuis un mois par rapport aux années précédentes principalement. D’ici quelques mois néanmoins, qu’en sera-t-il des estimations globales et spécifiques liées aux décès associés à des maladies qui n’auront pas été diagnostiquées à temps ou traitées avec retard, à des suicides… Ainsi, objectivement, il est très difficile aujourd’hui, dans le cadre d’une population sur une période d’un à 3 ans, de mesurer les conséquences liées au Covid-19 et celles liées aux mesures prises pour protéger du virus la population. Ce que nous vivons actuellement met ainsi en avant deux approches diamétralement opposées. Le confinement touche chacun et chacune, dans son quotidien avec les impacts que l’on connait au niveau économique, entre autres. La population attend donc des réponses rapides, immédiates. Mais d’un point de vue épidémiologique, il faut une accumulation de données minimum pour pouvoir faire une analyse et des estimations des risques. Elle ne peut donc pas donner de réponse « tout de suite ». Les prédicateurs et commentateurs s’en chargent bien volontiers.

À cela, précisons que la problématique de la contagion est ici d’autant plus importante que 30% des personnes atteintes sont asymptomatiques et contagieuses pendant deux semaines. Or, on sait qu’il faudrait qu’au moins 60-65% de la population soit immunisée pour commencer à avoir une « immunité collective » induite soit par le virus lui-même soit par le vaccin qui, et c’est très conditionnel, ne serait pas disponible avant 2021. Sciensano  a annoncé récemment une estimation de 4,3% de la population belge qui serait immunisée contre le coronavirus dans un contexte de confinement. En termes de risques (et donc de probabilité qu’un événement apparaisse), déconfiner la population va certainement se traduire par une augmentation de cette proportion. Pour rappel, les mesures de confinement prises l’ont été pour « aplatir la courbe » et ne pas engorger les hôpitaux en limitant au maximum l’exposition de la population au virus. Mais, aujourd’hui plus la population reste confinée longtemps, moins elle sera à risque d’être contaminée. Or, pour être immunisé, il faut être contaminé ou disposer d’un vaccin. Bref, c’est le serpent qui se mord la queue. Pour complexifier le tout, de nombreuses questions restent sans réponses sur l’immunité induite par le virus SARS-cov-2. Ainsi, nous ne savons pas si le fait d'avoir des anticorps est un élément absolu de protection et surtout combien de temps peut durer cette protection chez les individus séropositifs. Les tests de dépistage sérologiques sont donc un outil supplémentaire, mais loin d’être la panacée. En conclusion, il est donc difficile de faire se rejoindre les cartésiens, qui donnent des estimations de risques et fournissent des outils pour les minimiser et ceux qui souhaiteraient disposer de mesures pour atteindre un risque zéro… C’est une évidence.

Cette tension se retrouve aussi au sein du corps scientifique. Cela peut accentuer cette dichotomie dans la population, mêlée de scepticisme…

Jean-Michel Dogné : Historiquement, on se basait sur l’avis de scientifiques en espérant obtenir des réponses relativement claires. La différence fondamentale avec le Covid-19, c’est qu’en l’absence de réponses claires face à un virus encore fort méconnu, différentes écoles dans la manière de travailler avec des traitements existants, mais non validés sont révélées alors qu’elles ont toujours existé. Vous avez ainsi le cas de ce médecin français qui explique qu’il a testé un traitement sur un certain nombre de personnes et que beaucoup vénèrent alors que sa méthodologie est discutable. Discutable ne veut pas dire que le traitement est inintéressant, mais qu’il nécessite d’être confirmé avec une méthodologie plus robuste qui demande du temps. Avant, ces querelles scientifiques se passaient en coulisses. Aujourd’hui, c’est mis sur la place publique ce qui ne fait qu’accroitre ce sentiment de complot. Et le confinement permet à chacun de dire et relayer tout et n’importe quoi sur les réseaux sociaux…

Valérie Flohimont : Il y a en effet trois éléments qui favorisent ce climat ambiant d’incertitude. Premièrement, les avancées scientifiques, dans n’importe quel domaine de la recherche, se font dans le débat. Ça s’est toujours construit ainsi. Ça se déroule dans des lieux désignés pour cela, entre experts, ou par publications interposées. Ici, cette crise du Covid-19 est étalée dans les médias et sur les réseaux sociaux avec des interventions constantes de quidam. Il y a ainsi un mécanisme collectif d’auto-alimentation, avec cette opposition entre la peur de certains et la confiance des autres. C’est un cercle vicieux qui n’aide pas à avoir un sentiment soit de transparence soit de confiance dans les informations transmises. Ce sentiment collectif se décline ensuite de manière individuelle.

En deuxième lieu, il y a un autre clivage qui existe dans la population avec deux profils distincts : les « égoïstes » qui ont peur d’être malades et de développer des symptômes graves versus les « altruistes » qui, eux, vivent avec la peur de contaminer quelqu’un. Vous assistez donc à une tension qui mène à un contrôle social, les altruistes pointant ces individus qui, par exemple, se réunissent à plusieurs sur un banc sans s’inquiéter qu’ils puissent contaminer d’autres personnes.

Enfin, la situation est constamment présentée comme une crise « sanitaire ». Il y a sans aucun doute un problème de santé publique. Mais il s’agit surtout d’une crise logistique et organisationnelle, que ça soit au niveau sociétal, dans la gestion des entreprises, sur le plan de la conciliation vie privée – vie professionnelle, etc. Quand on regarde les profils de la population, vous avez encore un nouveau clivage entre les uns qui vont faire leurs réserves comme en temps de guerre et les autres qui vont vivre la situation quasiment au jour le jour. La situation liée au Covid-19 met au jour les croyances individuelles de chacun.

Peut-on dire que la crise que nous vivons maintenant aurait été « mal gérée » ?

Jean-Michel Dogné : Non. Sauf erreur de ma part, en Europe, aussi bien les Pays-Bas, la France, l’Italie ou encore l’Espagne ont des gouvernements avec des sensibilités différentes et aucun n’est totalement épargné malgré des approches parfois différentes, notamment sur la fréquence des tests de dépistage ou la méthode de confinement complète pour certains et « intelligente » pour d’autres. Et le constat est identique partout : l’impréparation vient de l’impossibilité d’avoir anticipé ce qui s’est passé. On ne sait pas produire 10 milliards de masques du jour au lendemain ou trois mois avant une épidémie dont on ignore qu’elle va nous concerner. Au niveau des tests et des réactifs, même conclusion. Il est impossible de prévoir des traitements, des vaccins, etc. dans la mesure où on ne connait pas un virus et son matériel génétique qui infecte une grande partie de la population mondiale sur trois mois. Et même en connaissant un virus, il faut au minimum dix à douze ans pour développer un vaccin ou un traitement pour autant que ce soit possible. Nous ne disposons toujours pas de vaccins contre une série de virus et bactéries connus depuis des dizaines d’années. Et rediriger des traitements existant dans d’autres indications (comme la chloroquine, le remdesivir, le lopinavir/ritonavir) ne permet pas non plus de garantir l’approvisionnement pour la population dans des délais courts.  Par-dessus tout, des données réelles de la balance bénéfice/risque de ces traitements dans la population malade ne peuvent être anticipées. Bref, bien malin celui qui aurait pu anticiper dans un pays la situation actuelle et, quand bien même, peut-être à l’exception des masques, avoir identifié le matériel et les traitements à disposer en quantité suffisante.

En outre, il aurait été inaudible pour la population d’entendre, en février, qu’elle ne pouvait pas se rendre à l’étranger, au ski en Italie par exemple, pendant les congés de Carnaval. Pour beaucoup, il était impensable de fermer les frontières, d’interdire aux restaurateurs d’être ouverts… Tant que la menace n’est pas là, il est difficile de prendre les mesures adéquates. En termes organisationnels, certains points comme la gestion des masques et des testings, la nature des mesures de confinement devront être évalués avec objectivité et transparence.

Les images de ces patients isolés, qui décèdent seuls et que l’on peut découvrir sur les réseaux sociaux, à la télévision, dans les journaux ne nourrissent-elles pas aussi notre sentiment de fragilité face au Covid-19 ?

Valérie Flohimont : si, mais je vais nuancer entre ce qui se passe dans les maisons de repos et les hôpitaux. Les maisons de repos ont mis en place des procédures, avec une certaine diversité, pour permettre à un ou plusieurs membres de la famille de venir dire adieu à leurs proches en fin de vie. Dans les hôpitaux, c’est tout à fait différent. Les patients sont seuls, aucun membre de la famille n’est autorisé à visiter son proche.

Cela pose plusieurs questions. La première concerne la capacité affective du personnel accompagnant et médical à encaisser cette situation, avec de nombreux décès. Tout le monde n’est pas équipé affectivement de la même manière. Cela laissera des traces sur le long terme pour ce personnel.

La deuxième est celle d’être présent à l’autre et pour l’autre durant la maladie. C’est le réflexe de la majorité des personnes d’être là, ne fût-ce que moralement, auprès d’une personne à laquelle on est attachée. Et dans cette situation, c’est impossible. Cela accentue une difficulté émotionnelle qui crée une surcharge affective et peut accroitre, chez certains, la tendance à l’hypocondrie.

Enfin, les difficultés liées du deuil sont également au cœur de la problématique. Au-delà de l’impossibilité d’accompagner son proche dans ses derniers moments, le fait de savoir qu’il est mort seul, peut-être dans la souffrance, a pour conséquence de compliquer encore davantage le deuil. La rapidité avec laquelle cela se passe ne permet pas aux familles d’intégrer le décès d’un proche que l’on n’a pas pu accompagner de surcroit. Les lits doivent être très rapidement libérés et donc les corps sont expédiés en quelques heures à la morgue ou aux pompes funèbres. À cela s’ajoute l’impossibilité d’organiser un enterrement dans des conditions habituelles, comme on aurait voulu le faire dans le respect des souhaits du défunt. Un enterrement participe lui aussi à cette phase importante de deuil. Ici, quelques personnes peuvent y assister, en respectant la distanciation physique alors que c’est un moment où nombreux sont ceux qui ont besoin de contacts, de prendre leur famille dans les bras, etc.  Dernier élément qui renforce cette impossibilité de faire son deuil : le climat social ambiant vous annonce tous les jours le nombre de morts au compteur du Covid-19. En tant qu’individu, ce compteur permanent balaie ma problématique personnelle difficile, qui mérite de prendre un temps pour l’intégrer dans un contexte serein. Ce temps nécessaire n’est pas accordé et pas dans les conditions souhaitées et, en plus, quotidiennement, à heure fixe, est annoncé le nombre de décès. D’une part, ces annonces récurrentes engendrent deux mouvements contraires : d’un côté, cela aggrave la difficulté, car il y a de nombreux décès, de l’autre, cela minimise le drame personnel vécu puisqu’il y a justement beaucoup de décès et de familles dans la même situation.

Ce contexte favorise un climat ambiant un peu malsain.

Le déconfinement est entamé. Quelle communication doit-on porter auprès de la population pour qu’elle prenne la pleine mesure de cet enjeu ?

Jean-Michel Dogné : Au démarrage du confinement, les espoirs étaient portés sur la mise au point d’un vaccin et d’un traitement ou sur une atténuation du virus. Ce n’est pas le cas.

Que vise-t-on ici ? On espère disposer de suffisamment de tests pour déconfiner les personnes moins à risque ou, présentant des anticorps avec les limites néanmoins, mentionnées préalablement sur les incertitudes de l’impact de l’immunité. Toutefois, le virus étant toujours actif, déconfiner aujourd’hui ne va pas avoir un impact immédiat, mais dans les semaines à venir. La seule solution pour aplatir cette courbe, c’est la distanciation physique et les mesures de protections individuelles. Dans le plan de déconfinement, on propose de rouvrir les écoles. Cela me paraît être une tactique osée. La distanciation physique chez les enfants est compliquée. Ainsi, les enfants, souvent asymptomatiques, peuvent se contaminer entre eux. Et ramener le virus à leur domicile. Si les enfants sont à l’école, c’est parce notamment parce que les parents sont retournés travailler. Et donc ces derniers vont véhiculer le virus dans leur environnement professionnel. La crainte d’une deuxième vague est fondée.

Valérie Flohimont : Il y a plusieurs aspects à souligner.

Tout d’abord, la tendance sociétale depuis plusieurs années est de vouloir vivre dans une société du « risque zéro ». Mais ce « risque zéro » n’existe pas. Cela doit être répété, martelé auprès de la population. Les objecteurs diront qu’il y a des risques choisis. Non. Même en étant le conducteur le plus prudent du monde et respectueux du code la route, vous n’êtes pas à l’abri du comportement dangereux d’un autre sur la route ! Il faut avoir le courage de rappeler sans cesse aux personnes que ce « risque zéro » n’existe pas.

Ensuite, revenons-en à l’objectif initial du confinement : ralentir la progression du virus pour préserver la capacité hospitalière. Il faudra également rappeler à la population ce qui était visé. En effet, il est fréquent de constater qu’une mesure prise à un moment précis en vue d’un objectif spécifique fixé par les pouvoirs publics peut, au fil du temps, présenter une érosion ou une modification de celui-ci. De nombreuses lois ont connu cette évolution. Un exemple : lorsque les premières limitations de vitesse pour les véhicules ont été fixées, le législateur entendait diminuer la consommation d’essence pour répondre à la première crise pétrolière. Aujourd’hui, cette législation existe toujours, moyennant des modifications sur les limitations. Mais elle vise à diminuer le nombre de morts sur les routes. L’objectif initial s’est complètement délité et a suivi l’évolution de la société, ce qui est sain. Dans le cas du Covid-19, le discours a changé au fil des semaines. Maintenant que le déconfinement est à l’ordre du jour, on entend qu’il faut avant tout protéger la population. D’où les discussions sur les masques, les gels, la réouverture des écoles, etc. Exit les discussions sur les capacités hospitalières. Mais attention : l’objectif n’a pas pour autant changé. Il faut continuer de se préoccuper de la capacité d’accueil et de soins de nos services de santé, car les risques de contamination sont toujours bien présents.

Enfin, il faut continuer de rappeler à la population toutes les mesures nécessaires pour limiter la propagation du virus, dont la « distanciation sociale » que je préfère qualifier de « distanciation physique », ce qui me paraît plus proche de la réalité. Ce qui protège du virus, c’est la distance physique, la ‘proximité sociale’ est quant à elle nécessaire pour traverser au mieux la période difficile que nous vivons. L’être humain est un être de contacts sociaux. Par rapport à toutes ces mesures, on retrouve le clivage évoqué ci-dessus entre les « égoïstes » et les « altruistes ». Vous avez les inquiets, qui s’interrogent sur la qualité des contacts sociaux durant cette période. Ils craignent la méfiance des gens, la peur de toucher à nouveau quelqu’un, etc. Et puis, de l’autre côté, vous avez ceux qui s’impatientent de pouvoir faire la fête, de revoir leurs familles et amis « comme avant ».

Quant au déconfinement en tant que tel, je rejoins l’avis de certains experts scientifiques qui invitent à autoriser les personnes les moins à risque ou déjà exposées au virus d’être déconfinées. Toutefois, il faudra faire preuve d’énormément de pédagogie pour expliquer à la population les objectifs des décisions prises. Une bonne communication permettra de faciliter la compréhension des mesures. À défaut, le risque est d’accentuer encore les oppositions, car les personnes vont analyser cela avec leur grille de lecture personnelle… ce qui est déjà le cas maintenant. Si on en revient à la question de la réouverture des écoles, je partage l’avis de Jean-Michel Dogné. C’est à mes yeux, un non-sens. Aussi bien en termes de santé publique que de continuité d’apprentissage. Ouvrir quelques jours pendant 1 mois au prétexte qu’il faut éviter que les élèves ne perdent pas trop d’acquis ne me paraît pas être une justification suffisante. Dans un passé pas si lointain, la Belgique a connu deux épisodes de plusieurs mois sans cours sans que ça ait rendu les élèves concernés plus stupides…

Le « retour à une vie normale » est souvent évoqué… Va-t-on réellement vivre ce retour à ce que nous connaissions « avant » ?

Jean-Michel Dogné : Il ne faut pas avoir trop d’attentes quant à un retour à une vie « normale ». Tout d’abord, la normalité est différente d’une personne à l’autre. Il y a des éléments qui vont faire que nous allons avoir une vie tout à fait différente d’un point de vue purement pratique. La question de la distanciation physique va rester, principalement chez deux types de personnes : les personnes à tendance hypocondriaque et les personnes avec des profils épicuriens. Les deux vont renforcer, à mon sens, leur tendance naturelle. Leur « normalité » va évoluer. Il va donc falloir s’adapter à toute une série de comportements, tant que nous évoluons dans un climat où le risque contagieux reste présent et en l’absence d’un vaccin (si toutefois un vaccin efficace serait disponible) et de traitements efficaces. Aussi, le confinement a permis aux personnes de se sentir protégées. Il ne faut donc pas s’imaginer qu’en sortir va limiter les angoisses et faciliter une vie sociale. Je pense que ça va plutôt avoir un effet inverse pendant la période d’incertitude liée à une seconde vague et à la gestion quotidienne des mesures. Le phasage, les visites autorisées, le traçage par des inspecteurs, les masques, etc. vont développer un sentiment d’anxiété et de culpabilité (« c’est toi qui m’as contaminé ») au sein de la population. Même au niveau des travailleurs, la tension risque d’être forte entre ceux qui devront retourner sur site, ceux qui pourront encore télétravailler, ceux qui n’ont plus travaillé depuis des semaines et ceux qui au contraire sont à saturation et qui vont entamer un marathon, je pense ici aux professionnels de la santé et l’ensemble des prestataires qui ont travaillé sans reconnaissance particulière pour gérer la crise. Au même titre que chaque crise majeure, il faut des années pour retrouver une « vie normale ». Mais quelle sera la norme ? Je suis donc persuadé qu’il faudra du temps et de la résilience individuelle.

Valérie Flohimont : Le « retour à une vie normale » peut s’entendre dans le sens d’une vie en dehors du confinement.  Mais, clairement, la « normalité de demain » ne pourra pas être celle d’hier.

30/04/2020