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Le secteur de la communication, un secteur qui se réinvente au cœur de son paradoxe

Le secteur de la communication est fortement affecté par l’actualité. Les communicants sont sur leur front, celui des aller-retours express entre la stratégie de communication bousculée et le terrain secoué. Bien sûr, quelques agences ont eu l’occasion de rebondir avec des campagnes « covid », en soutien au personnel hospitalier, aux commerces de proximité…  Bien sûr, la communication interne réinvente le maintien des liens entre télétravailleurs, au service du management. Bien sûr, la communication de crise joue au pompier là où personne n’avait anticipé.  Tour à tour encensée et méprisée, la communication souffre de cette double contrainte, à laquelle elle est familière sans jamais s’y résoudre. La communication est un métier. 

La communication événementielle souffre 

Event cancelledAvant la crise, le secteur événementiel belge employait 80.000 travailleurs avec plus de 3.200 entreprises et près de 77.000 événements organisés par an. Depuis la mi-mars, les événements sont, au pire annulés, au mieux reportés, à des dates ultérieures, impossibles à déterminer encore. Les annulations de conférences, colloques, salons, festivals, incentives et autres réunions d’affaires se sont propagées, tel un domino, depuis l’organisateur vers les nombreux sous-traitants. L’annulation ou le report de dates affecte l’ensemble de la filière événementielle par ricochet, jusqu’au participant.  

L’organisation d’un événement va bien au-delà de la réservation d’infrastructures pour l’héberger, d’un traiteur et d’un service de sécurité. Le budget en personnel affecté aux sous-traitants par un organisateur d’événements est de plus de 50%. Plus encore que les autres, les organisateurs des festivals de musique recourent à des sous-traitants. Dans ce domaine spécifique, les rémunérations des prestataires sont de l’ordre de 70% du budget global. On pense ici au secteur de l’événementiel B2C  - Business to Consumer - plus connu du grand public avec les foires et salons, les festivals et autres compétitions sportives,  médiatisés. Le secteur B2B – Business to Business -, pourtant générateur d’un chiffre d’affaires plus conséquent, est réservé quant à lui aux professionnels.   

Le besoin de se retrouver et de célébrer également en solidarité

Les constats chiffrés sont source de questionnement autour de la dimension de célébration, assurément présente dans les événements d’entreprise, même si l’on n’y fait jamais la fête «juste pour faire la fête». On n’y fait pas non plus la fête tout seul. Les êtres humains sont grégaires, ils se rassemblent pour célébrer, il y a donc une dimension collective évoquant la rencontre autour de l’objet à célébrer, même commercial. L’événement est un fait social, tout comme l’est l’entreprise elle-même d’ailleurs. Et force est de constater aujourd’hui à quel point ce besoin de rassemblement est éprouvé. Un autre aspect à prendre en compte est la dimension d’émerveillement, l’effet WOW, lié au caractère affectif exceptionnel matérialisé par une inscription limitée dans la durée. N’est-ce pas cette immédiateté qui est recherchée aujourd’hui, au travers du streaming, ce flux pourtant continu ?  

CelebrateSi l’on suit cette logique, peut-on dire que l’événement est un processus impliquant la rencontre (dimension collective) entre des parties prenantes autour d’une production de communication, dans un contexte spécifique (dimension de célébration et dimension d’émerveillement), et pendant un temps limité ? Vu sous cet angle, qu’en est-il de la transposition digitale des événements à laquelle nous assistons aujourd’hui ?   

L’événement pris seul est éphémère, voire inutile.  Il agit en catalyseur transversal de l'ensemble des actions de communication mises en œuvre : campagne média, promotion, lobbying, relations presse, marketing, réseaux sociaux... Le point de ralliement de l'ensemble des dispositifs, en somme. Mieux encore, si l’on fait référence à une participation des parties prenantes dans une co-création de sens, on est dans le partage d’expérience et donc au cœur de la « communication expérientielle ». Au-delà des événements « traditionnels » (animation, publics cibles pris en charge par les organisateurs, cadrage « début-fin », protocole…) où le public est « spectateur passif », la posture de ce dernier évolue vers celle d'un acteur qui entre réellement dans une expérience de relation avec l’organisateur. La question se pose à nouveau face aux bouleversements que la crise génère : un événement virtuel est-il vraiment un événement ? L’humain s’adapte. La technologie joue son rôle d’amplificateur. Résistances pourtant. Au changement, seulement ? 

Le confinement sera culturel ou il ne sera pas, mais après ? 

Et la culture ? L’industrie culturelle pèse, en Belgique, plus de 5% du PIB, et emploie près de 250.000 personnes, pour 50 milliards de chiffre d’affaires. Humoristes, chanteurs, musiciens, dessinateurs, danseurs, hommes et femmes de théâtre, comédiens, écrivains, scénaristes… Ces artistes, fabricants du divertissement, intermittents du spectacle, sont aujourd’hui bien plus délaissés encore, habitués qu’ils sont déjà, et pour bon nombre d’entre eux, à dépendre de contrats précaires, et contraints de flirter avec la fiscalité.  

Starving artistQue serait ce confinement sans accès à la culture ? D’aucuns redécouvrent la lecture, la musique, la peinture… Mais les questions subsistent et se font insistantes, déplaisantes même : à quoi servent-ces narcisses à l’esprit tourmenté? Combien rapportent-ils ? Les artistes ont cela en commun avec les communicants, qu’ils s’expriment en public, souvent avec passion, sur scène ou en backstage. Qu’ils soient de haut vol ou amateurs, imaginer qu’ils vivent d’amour et d’eau fraîche, tels de doux rêveurs, est méprisant. Et méprisable. 

De nombreuses initiatives s’expriment au travers du web, véritable vecteur culturel de communication où le mot d’ordre « rebondir » semble brandi en étendard. C’est l’opportunité divinatrice saisie par les Rolling Stones, qui traversent les époques, mais n’avaient plus rien produit depuis 8 ans, pour enregistrer à nouveau : « Villes fantômes ». Ce sont les humoristes, qui s’en donnent à cœur joie et diffusent leurs capsules audiovisuelles à la manière de métronomes. C’est le média télévisé, plébiscité dans un sursaut collectif, qui réinvente ses grilles…  

Explosion des visites virtuelles de musées. De son fauteuil, le visiteur peut découvrir un site ou une collection, sans la contrainte de l’affluence, ni de la file d’attente, ni du déplacement, ni d’horaire... La fréquentation du site internet du Louvre a explosé. Et pour les nostalgiques de l’affluence, YouTube propose un certain nombre de Virtual Tours, histoire de s’immerger dans la foule cosmopolite. L’occasion de voir ou revoir la Tate, à Londres, le MoMa, à New York, le musée d’Orsay, à Paris, ou encore celui des Confluences à Lyon… De grandes ou plus insolites opportunités. S’évader en dehors de l’Europe est bien sûr autorisé, à la portée d’un clic de souris. Parmi les lieux répertoriés, une large sélection d’institutions emblématiques, mais également toute une série de monuments historiques. La culture est gratuite. Exit les selfies, cependant. 

Live musicLes réseaux sociaux regorgent d’autres initiatives, parfois cocasses, comme celle d’artistes qui lancent des chaînes pour que chaque pair poste une photo de lui en scène. A Namur, Vincent Pagé n’a pas fait exception à la règle. Une autre initiative relayée par les réseaux sociaux, à l’instar du mouvement hongrois #nevaltsvisszajegyet ("ne renvoyez pas vos billets") est l’hashtag #jegardemaplace, lancé sur Twitter par Emilie Delorme, directrice du Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris. Un cri de résistance face à la situation du vide juridique des politiques de remboursement. Chaque spectateur est appelé à être solidaire afin d’atténuer les pertes déjà conséquentes subies par le secteur. De nombreux belges ont suivi le mouvement, en attendant de pouvoir à nouveau réinvestir les salles de spectacles et les événements.  

Une chose est certaine, les événements ne seront plus jamais « comme avant ».  A nous de les réinventer.  

Anne-Catherine Lahaye - 29/04/2020