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Éloge de l'éducation et de l'innovation

Discours prononcé par le recteur Yves Poullet lors de la séance académique de la rentrée 2012-2013

La presse a relayé la volonté de nos facultés d’obtenir par décret le droit pour notre institution de s’appeler Université de Namur. L’Assemblée générale de notre Université en a ainsi décidé.

Nombre d’élus dont certains sont ici présents ont exprimé leur ferme soutien à cette volonté. Solennellement aujourd’hui, je souhaite les remercier de leur appui qui nous réjouit. Ce combat pour un nom, un simple nom me dira-t-on, a tout son sens et il me revient de le mettre en lumière. Un sens qui en même temps constitue une ardente obligation pour chacun de ses membres, étudiants, enseignants, chercheurs et au-delà l’ensemble du personnel de notre institution. 

Un sens… Nous affirmons haut et clair que nous sommes une Université et nous en demandons, humblement, la reconnaissance au pouvoir politique mais au-delà aux citoyens de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Il m’a toujours paru insensé de lier le nom à une taille. Une université est, nous dit Wikipédia, un établissement qui fédère -le mot est important- en son sein la production (recherche), la conservation (publications et bibliothèques) et la transmission (études supérieures) de différents domaines de la connaissance. Ces trois missions, nous les accomplissons de manière complète, avec le souci, en outre, de les voir dans leur globalité et non séparément.

Cette définition cache l’essentiel à savoir l’essence même de la démarche universitaire. Guy Rocher, qui a présidé l’Institut québécois de la recherche, la définit ainsi :
« Le trait caractérisant le mieux l'activité universitaire dans l'ensemble de ses missions -recherche, formation scientifique ou professionnelle- est le style de réflexion qui consiste à aborder tout sujet, toute question sous un angle qui mette en lumière leur substance réelle et leur sens au-delà des apparences s'offrant au premier regard, souvent superficiel. S'il en est ainsi, le style de pensée propre à l'université et le type de formation qui en découle consistent à porter la réflexion aux confins de la connaissance, à cet extrême point du savoir où il devient possible à l'esprit de saisir les connaissances en leur jaillissement, de s'interroger sur leurs fondements théoriques et sur leur évolution, d'en explorer les applications et les incidences sur la vie de tous les jours ; et grâce à ces démarches de la pensée, soit de redonner au savoir constitué sa valeur originelle, soit de la renouveler et de la prolonger par l'innovation » .

Dans un discours récent, Adolfo Nicolas, Général des Jésuites , approfondissait cette assertion. Il caractérisait ainsi la double exigence posée à nos universitaires : « Depth of Tought and Innovation », à la fois, la profondeur d’une pensée qui se doit d’être critique et en lien avec le réel et à la fois l’apprentissage voire la culture de l’innovation, qui suppose un savoir ouvert et également en prise avec le réel. Il ajoutait combien ce souci de l’innovation était essentiel dans notre société moderne: « Creativity might be one of the most needed things in present times – real cre¬ativity, not merely following slogans or repeating what we have heard or what we have seen in Wikipedia. Real creativity is an active, dynamic process of finding responses to real questions, finding alternatives to an unhappy world that seems to go in directions that nobody can control ».

Sans doute rejoignons-nous ici la demande ‘Horizon 22’ de la Fédération Wallonie-Bruxelles et de la Région Wallonne qui, face à l’angoisse d’un lendemain plus difficile encore, invite ses forces vives à parier sur l’innovation ? Cet appel, nous devons l’entendre et y répondre. Notre localisation au cœur de la Wallonie, dans la ville capitale de celle-ci rend plus prégnante encore cette exigence. Nous devons être -et je le dis solennellement- plus en prise, dans nos tâches et contenus d’enseignement et de recherche, avec les besoins de notre société, qu’il s’agisse de notre ville, de nos régions namuroise et wallonne, de nos entreprises, de nos populations. Notre volonté d’être l’ « Université de Namur » prend tout son sens dans ce contexte. Nous ancrons fermement notre action dans un cadre géographique, celui d’une région namuroise qui abrite la capitale de la Région wallonne et prétendons servir celles-ci par l’apport critique proprement universitaire qui est le nôtre en tant qu’Université. Cette exigence est inscrite au cœur de notre Charte elle-même. Elle assigne à notre Université, comme première mission, de « former des acteurs pleinement responsables dans la société », celle où ils sont nés et où, selon toute vraisemblance, ils seront appelés à jouer un rôle important en rapport avec les compétences acquises.

Certes, j’entends les objections : certains rappelleront que l’Université doit regarder au-delà des frontières et ne se concentrer que sur l’Universel et que notre projet est trop local. A ceux-là, je réponds que l’Universel n’a de réalité que s’il se gagne à partir de l’approfondissement de notre particularité et de la singularité qui est la nôtre. L’’Univers-Cité’, celle qui s’ancre profondément sur la réalité de son implantation locale et qui fait sienne sa culture et ses questionnements, est la seule chance d’une réelle appréhension des problèmes universels rencontrés dans notre monde Elle fournit un apport pour le construire meilleur, plus juste et durable. Notre légitime ambition de nous ouvrir plus encore à l’international doit se nourrir de cet ancrage local. 
D’autres craignent que cet horizon limité nous entraîne dans un asservissement de nos universités au monde politique et économique. Certes, la question de l’autonomie des universités devient cruciale, à mesure que se font sentir les exigences budgétaires exigeant la planification et la coordination du système global de l'enseignement post-secondaire et les incertitudes budgétaires. Jusqu'où les institutions universitaires pourront-elles rester maitresses de leur propre développement quand les crédits qu'elles reçoivent dans ce but sont de plus en plus liés à la réalisation de programmes établis par des organismes centraux ?

Ce défi, nous entendons le relever ensemble avec les autres universités au sein de la future Académie que nous promet notre Ministre. Le politique et l’économie doivent comprendre que l’université ne jouera pleinement son rôle innovateur et critique dans cette société que si elle peut disposer des marges d’autonomie suffisantes pour décider de ses programmes d’enseignement et de recherche fondamentale selon leurs propres critères, ceux de l’excellence et de l’innovation. Certes, demain, la conduite des universités doit être plus collective et sans doute faut-il amplifier le rôle du Conseil des Recteurs et du FNRS. Ensemble, nous devons entamer une réflexion sur une mutualisation croissante de nos équipements de recherche, et nous concerter pour une meilleure spécialisation de nos enseignements et de nos recherches.  Il importe en effet pour reprendre le titre d'un ouvrage sur l'université, que celle-ci et donc notre Université de Namur  se tienne  « entre l'engagement et la liberté » , entre l'engagement dans sa fonction politique, économique et sociétaire et la liberté de l'esprit.

Comment répondons nous à ce défi nous qui revendiquons d’être dorénavant pleinement reconnus comme universitaires ? Même si la recherche en est un autre également important, le défi que je souhaite évoquer aujourd’hui, le titre de mon exposé m’y appelle, est celui de l’éducation, et ce au sens étymologique du terme « e-ducare », c’est-à-dire sortir le meilleur d’eux-mêmes de chacun de nos étudiants mais également des presque 1000 chercheurs et 400 doctorants qui choisissent de parfaire leur formation chez nous.  C’est notre priorité, notre rôle social. La capacité d’innovation d’une société et d’une Nation dépend de la qualité de son élite et de ses dirigeants, par conséquent de la formation que ceux-ci ont reçue à l'université  

Si telle est la première mission qui nous est confiée, elle nécessite de notre part à nous enseignants de nous interroger sur les nouveaux étudiants qui nous arrivent : ceux que les pédagogues appellent la génération Y, celle des jeunes nés avec Internet. Sans doute, l’Internet multiplie les sources d’information, étend au monde notre capacité d’interagir et de découvrir. Le Web, est un vecteur sans pareil de notre expression dite ‘libre’ mais souvent brutale, normalisée et irréfléchie. Dans le même temps, il induit une connaissance « cut and paste » et favorise une expression et une connaissance immédiate superficielle en même temps que se multiplient et se comptabilisent les « friends » virtuels, les solidarités réelles s’émoussent et les échanges restent superficiels et éloignés de la réalité : individualisation et déshumanisation riment avec cette globalisation tant vantée . Notre premier devoir d’enseignants est de nous interroger sur cette réalité nouvelle et d’y apporter des réponses adaptées mais sans nous « renier », sans renier les valeurs fondamentales de l’Université : la réflexion critique et le goût de l’innovation.

Interviewé à propos de son livre paru cette année : Petite Poucette , le philosophe Michel Serres racontait l’anecdote suivante. Il s’était mêlé à quatre cents étudiants pour suivre un cours à la Sorbonne de sciences politiques. Il décrit l’auditoire comme une ruche, c’était un brouhaha, d’où émergeait à peine la voix d’un enseignant tantôt compassé, tantôt gesticulant pour essayer de retenir l’attention d’un auditoire. Un étudiant sur deux, sous l’œil complaisant du voisin ou de la voisine ou tout en discutant avec lui ou elle, avait ouvert son laptop, son iPhone ou son iPad, soit pour parcourir la liste des distractions possibles du soir ou du lendemain, soit pour suivre une actualité ou découvrir un film, le tout ayant peu à voir avec le sujet du jour qu’évoquait, si du moins on y prêtait l’oreille, le digne académique.

Devant cette situation surréaliste, le philosophe s’interrogeait : « Qui faut-il condamner ? ». Le professeur à l’éloquence incontestable, à la clarté irréprochable du discours, à la conscience professionnelle digne d’éloges ou ces étudiants, consommateurs à la limité drogués du net.  Que les torts soient pour le moins partagés m’apparaît évident. On pointera, du côté des étudiants, le manque de respect et leur étourdissement devant un outil et une information souvent futile qui par un click en appelle une autre, selon la loi implacable d’un surfing de distraction au sens pascalien du terme. Du côté de l’enseignant, on souligne la faute grave que constitue son incapacité à prendre en compte la réalité nouvelle des usages voire de la personnalité de la génération Y et d’adapter ses modes de communication du savoir à cette réalité. Sans doute, s’agit-il non pas de moins enseigner mais d’enseigner autrement.

Notre premier devoir d’enseignant est en effet de prendre connaissance de ce qui caractérise cette génération dite Y et de lui offrir une méthode d’apprentissage qui ne renie pas sa démarche habituelle de connaissance mais qui la prolonge pour en faire une véritable démarche critique universitaire. Ceci exige que nous redéfinissions notre rôle. Sans doute nous faudra-t-il de l’audace et de l’humilité pour descendre de notre chaire de vérité et d’abandonner un enseignement linéaire bien maitrisé ? Sans doute, nous faudra-t-il créer un dialogue et parier sur la vertu de la discussion collective à la recherche de la Vérité, de la disputatio, chère à Saint-Ignace, Université de tradition jésuite oblige?

Innover dans nos méthodes d’enseigner. Sans doute, n’est-ce pas suffisant ? Il est important que l’étudiant qui, au sortir de ses études entre dans la vie professionnelle, puisse apprendre qu’il sera jugé non sur ses seules connaissances mais également sur son savoir être, son comportement et ses valeurs sociales. Ainsi, il serait utile que nous proposions à nos étudiants de masters des formations originales à « pitcher » ou à la gestion des ressources humaines. La formation à l’éthique et une ouverture à d’autres disciplines en lien avec celle choisie nous paraissent essentielle.

« Bref, dans le monde moderne plus que jamais, l'université et les universitaires doivent témoigner d'une conscience éthique, c'est-à-dire d'une sensibilité aux valeurs. Cette préoccupation morale doit maintenant faire partie intégrante tout à la fois de l'enseignement des professeurs, de leurs recherches scientifiques, de l'influence politique, sociale et culturelle qu'ils exercent. C'est là que prend tout son sens ce qu'on appelle la fonction critique de l'université, plus souvent évoquée que pratiquée. […] Pour former de bons spécialistes, vraiment efficaces dans leur profession et dans leur société, l'université doit contribuer à la  formation humaine de la personne porteuse des connaissances. Il y a là à la fois une question d'efficacité et une question d'humanisme. Efficacité du spécialiste dans ses milieux de travail par une meilleure connaissance de la dynamique de ces milieux. Humanisme d'un spécialiste qui, autrement, risque d'être condamné à la myopie intellectuelle dans un monde aujourd'hui pourtant si riche d'une culture plus que jamais accessible à tous » . 

À cet égard, on pourra s’inspirer de la récente décision du gouvernement français qui, en mars dernier, lançait l’idée de rendre obligatoire dans les universités un nouveau référentiel de compétences. L’objectif est de permettre à chaque étudiant d’accéder à une « sensibilisation dans les domaines de l’intelligence économique et des nouveaux risques du 21ème siècle et de bénéficier d’un cursus incluant la formation à la citoyenneté et à l’esprit de résilience ». Au-delà, on suggère de faire découvrir aux étudiants des univers professionnels et les métiers propres à ceux-ci.

Bref, « de la connaissance à l’innovation ». J’aime cette pensée d’Einstein, qu’une collègue me soufflait il y a peu et que j’exprime comme suit : « l’important dans l’éducation n’est pas tant la connaissance que la capacité d’imagination dans un contexte réel ». 
Le R.P. Adolfo Nicolas, déjà cité, poursuit la même idée : « Likewise, Jesuit education should change us and our students. We educators are in a process of change. There is no real, deep encounter that doesn’t alter us. What kind of encounter do we have with our students if we are not changed? And the meaning of change for our institutions is “who our students become” what they value, and what they do later in life and work. To put it another way, in Jesuit education, the depth of learning and imagination encompasses and integrates intel¬lectual rigor with reflection on the experience of reality ».

Voilà pourquoi notre université, parmi d’autres projets de redéploiement, regroupés sous le nom de code AXEL (Axes pour l’excellence), projets les uns liés à la recherche, les autres à son internationalisation, à son développement durable ou à sa propre gouvernance, lancera dès l’année prochaine, dans le cadre d’un programme PUNCH (Pédagogie Universitaire Namuroise en Changement ou Centré sur l’Humain) un appel à des innovations pédagogiques.
Qu’une dernière réflexion me soit permise, elle s’adresse aux étudiants en particulier. L’éducation à la responsabilisation n’est pas le seul fait des enseignements et de la recherche, elle est également le fait d’une institution toute entière, qui doit être en elle-même un lieu où se pratique la démocratie, où chaque étudiant et chaque professeur est un citoyen d'une république du savoir, sur le modèle de la société démocratique et pouvant lui servir de modèle.
Cette conclusion conduit à une exigence à laquelle nous devons faire face. De plus en plus, les activités extra-académiques des étudiants sortent du champ de réflexion de nos universités. L’académique se distancie des lieux où nos étudiants vivent leur vie. Nos cercles sont désertés par nos professeurs et il est rare que nos enseignants fréquentent les lieux des débats et des réjouissances estudiantines, comme s’il ne fallait pas mêler le sérieux et le jeu. Notre volonté est de créer un campus de croissance humaine qui permette ce dialogue et cette confrontation : un lieu de débats « politiques » au sens le plus noble du terme, y compris de politique institutionnelle, un lieu d’ouverture à l’extérieur, à la culture, à la réalité sociale et économique dans lequel les étudiants doivent assumer leur part de responsabilités.

À la suite d’Habermas, nous postulons « l'affinité et la relation intime entre l'entreprise de la connaissance au niveau universitaire et la forme démocratique de prise de décision ».  Dans les deux cas, n’y a-t-il pas nécessité de libre discussion fondée sur un effort de rationalité, la démarche critique et, bien évidemment, la reconnaissance du pluralisme. Cette libre discussion se doit au premier chef d’être au sein des organes de l’institution et ouverte à l’ensemble de ses membres, y compris les étudiants. 

Il est temps de conclure et de déclarer ouverte l’année académique 2012-2013. Qu’y vive l’Université de Namur et que vos routes, chers collègues et amis, y soient inondées de soleil.

Namur, le 17 septembre 2012

Yves Poullet, recteur de l'Université de Namur